DONATO (Alfred-Edouard D’Hont), magnétiseur belge, né à Chénée, province de Liège, le 9 mars 1845, mort à Paris, 18 rue Oudinot (VIIe), le 14 novembre 1900 (« Ceux qui ont eu un NOM dans la Magie » ). Nous lisons dans le Larousse Illustré du XXe siècle : « II a rénové les découvertes de James Braid et les a popularisées par l’emploi de procédés qu’il inventa sous le titre de « fascination ». Après avoir parcouru une partie de l’Europe, il vint à Paris en 1876 et son succès suscita les expériences du docteur Charcot sur les hystériques à la Salpêtrière. » Sans commentaires !
ROBELLY
C’est Donato — le premier de ce nom — qui est vraiment le créateur de l’hypnotisme théâtral. A vrai dire, Donato, qui apprit l’hypnotisme à l’école de Charcot, devint un adversaire passionné de ce dernier. Ils avaient l’un et l’autre sur la question, des idées tout à fait opposées. Charcot prétendait que l’hypnotisme ne pouvait s’adresser qu’aux grands névrosés, c’est-à-dire aux hystériques à crises, aux épileptiques, aux malades atteints de danse de Saint-Guy. Donato, au contraire, affirmait que n’importe qui, la première personne venue, était hypnotisable et qu’il pouvait faire sur elle des expériences, contre sa volonté. C’est sur ce point, justement, que nous devons insister pour montrer comment Donato pouvait aisément réussir en public, ou, tout au moins, donner l’illusion de la réussite. Les expériences de Donato eurent énormément de vogue, parce que Donato connaissait à merveille l’art de suggérer la foule. Il connaissait déjà cette fameuse suggestion commerciale, que l’on étudie maintenant fort heureusement, et qui, judicieusement utilisée, est l’un des éléments principaux du succès. Donato possédait déjà, dis-je, l’art d’organiser ses séances. Il faisait accourir le public et enregistrait de grosses recettes. Lorsqu’il allait dans une ville, ses affiches étaient posées en temps utile, bien avant son arrivée. Il se servait également de la presse. Mais ce n’était là, pour Donato, qu’un moyen très éloigné de préparer son auditoire. Il lui fallait, mieux, et il le fit. Donato, donc, arrivait dans une ville, précédé par sa réclame tapageuse faite sous forme d’affiches et par la voie des journaux. Mais il lui fallait prouver ce qu’il avançait, à savoir qu’il pouvait endormir n’importe quelle personne et produire sur elle, malgré sa volonté, des expériences captivantes. Eh bien ! Cela lui était très facile.
Donato, en arrivant dans une ville, s’inquiétait immédiatement de trouver ces fameux sujets qu’il allait influencer sur la scène. Il arrivait quelques jours avant la séance ; il se rendait aussitôt dans les grands magasins, allait voir les vendeurs, gens connus de beaucoup de personnes et il leur demandait de vouloir bien se prêter à quelques expériences d’hypnotisme. Il payait le dérangement, naturellement ; il le payait largement. Charmeur, ayant une parole aisée, il arrivait à convaincre les jeunes gens qu’il n’y avait aucun risque et qu’en outre, la séance serait des plus amusantes. Il arrivait toujours, dans la quantité, à décider une quinzaine, une vingtaine de jeunes gens ou de jeunes filles. Il leur donnait rendez-vous et essayait sur eux l’hypnotisation. Lorsqu’il se trouvait en présence de personnes influençables, il avait bien soin de leur dire : « Surtout, venez à ma séance et soyez dans la salle. Vous vous mettrez à n’importe quel endroit et, quand je demanderai des personnes pour subir l’hypnotisation, vous vous présenterez spontanément et vous direz que vous ne me connaissez pas. »
Aux personnes réfractaires à toute influence, eh bien, il leur demandait tout simplement de venir, de simuler des phénomènes et il leur offrait, comme aux bons sujets, une somme pour leur dérangement. Donato avait souvent sur la scène 10, 20, et quelquefois 30 personnes qu’il avait fait semblant de prendre au hasard dans la salle. Il arrivait alors à produire les états classiques du sommeil provoqué : états suggestif, cataleptique, somnambulique, léthargique. Ou ces états étaient vrais, ou ils étaient simulés. Donato affirmait que ses sujets dormaient réellement, et personne ne pouvait le contredire. D’ailleurs, si quelqu’un se présentait pour constater un phénomène, l’insensibilité, par exemple, il avait soin de faire l’expérience sur un véritable sujet dont il connaissait d’avance les facultés. Pour donner plus d’apparat à ses expériences, Donato intensifia les procédés d’hypnotisation. Vous savez que Charcot, à la Salpêtrière, employait des procédés très violents. Il projetait brusquement dans les yeux une lumière oxhydrique, ou bien il plaçait son sujet dans une pièce noire, et, brusquement, il faisait jaillir une grande source de lumière électrique. Sous l’influence de cette commotion, le sujet avait une dépression nerveuse, d’où sommeil, sommeil d’autant plus profond, que le sujet était plus nerveux et plus entraîné à ces expériences.
Donato augmenta encore l’intensité de ces procédés, en créa de nouveaux, comme la fascination qui est une manœuvre brutale, extrêmement dangereuse.
Vous savez que lorsqu’on veut acquérir cette maitrise personnelle vers laquelle nous devons tendre, il est utile de posséder un regard que nous appelons « regard magnétique ». Mais ce regard magnétique est tout à fait différent du regard fascinateur qu’employait Donato. Donato ne cherchait, par ses regards, qu’à fatiguer outre mesure et rapidement, les yeux du sujet qu’il désirait influencer. Il se plaçait, par conséquent, très près de lui, les nez se touchant presque. Il priait son sujet de le regarder très fixement dans un œil ou à la racine du nez, et lui, le regardait très fixement. II déterminait ainsi ce qu’on appelle en médecine un strabisme convergent, c’est-à-dire le fait de loucher en rapprochant les deux regards. Que des personnes nerveuses essayent de loucher, en regardant, par exemple, l’extrémité de leur doigt et en l’approchant très près des yeux, elles éprouveront bientôt une gêne, une fatigue oculaire désagréable. La fascination amène un état congestif du fond de l’œil du à la tension du regard, et la personne, après l’expérience, a la tête lourde, congestionnée. C’est justement là le grand danger des expériences faites par Donato, danger qui s’est produit sur de grands nerveux et qui a fait interdire l’hypnotisme en représentations publiques. Donato fit un jour, comme d’habitude, avec grand renfort de réclame, des expériences dans une ville de Belgique. Il hypnotisa une personne. Lorsque Donato l’eût fixé quelques instants, le sujet était tellement subjugué, qu’il suivait Donato sans pouvoir opposer la plus petite résistance.
L’hypnotiseur venait-il à se déplacer vivement, le sujet courait après lui ; il était véritablement attaché à son regard. Donato pouvait faire cesser cette hypnotisation quand il le voulait ; il n’avait qu’à fermer les yeux du sujet et à lui donner la suggestion : « Éveillez-vous, vous êtes calme », et le sujet se réveillait se déclarant tout à fait calme. Ce calme n’était qu’apparent. Il est établi que la répétition des expériences augmente la sensibilité à l’hypnotisme. Ce sujet, que Donato avait hypnotisé brutalement sur la scène vit donc sa faiblesse nerveuse augmenter et dans les rues de la ville où il se trouvait, il fut bientôt fasciné par les feux lancés par les phares des automobiles. Il ne pouvait plus sortir le soir sans être la proie des sources de vive lumière. La fascination avait augmenté sa névrose et il fallut le soigner. La justice informa, il y eut des enquêtes, des expertises, et finalement un projet de loi, et l’hypnotisme fut interdit en Belgique en représentations publiques. La France, elle aussi, a interdit les séances d’hypnotisme faites en public. Seules sont autorisées les expériences faites devant une société d’études légalement constituée. Mais, me direz-vous : « Comment ! Les expériences d’hypnotisme sont interdites en représentations publiques ! Mais on en voit journellement dans les foires et dans les cafés ». Certes, mais c’est simplement parce que les lois, les arrêtés sont si nombreux que la police ne peut tous les connaître. D’ailleurs, les hypnotiseurs de scène se sont ingéniés à tourner la difficulté. Et voici le « truc » qu’ils ont imaginé : ils sollicitent de la Préfecture de Police une autorisation en déclarant que les expériences sont simulées. Et ce n’est certes pas l’inspecteur, vraisemblablement peu au courant de la question, qui aura peut-être pour mission de venir contrôler les expériences, qui pourra les contredire. Ce truc a fait ses preuves. Donato, qui avait été poursuivi pour infraction à cette loi, plaida dans cet esprit : « La personne qui me sert n’est pas un sujet ! C’est un compère. Prouvez- moi qu’il dort réellement ! » On ne peut faire la preuve que le sujet dormait et Donato fut acquitté.
La gravure ci-dessus représente le célèbre Donato hypnotisant les foules. A la fin du siècle dernier, le fameux « magnétiseur » en fit cadeau à son élève Dalmoras, et la veuve de ce dernier, Mme Mariska, eut la générosité de nous offrir ce document inédit pour les lecteurs de L’Escamoteur.
Les hypnotiseurs professionnels qui font des tournées théâtrales savent qu’une mise en scène bien présentée est un grand élément de succès. Ils prennent des titres ronflants : le fameux Un Tel, le célèbre X…, le « Mage de l’Himalaya », le « Médium » le plus puissant du monde, un « Phénomène télépathique », la « Merveille du siècle », etc., etc. Cela fait en province, et même dans Paris, beaucoup plus d’effet qu’on ne pense. Un peu de publicité habilement rédigée dans les journaux les plus répandus, des affiches éclatantes exposant le portrait de l’illustre maître et le programme incomparable (tous les programmes sont incomparables) de la séance sont également d’un puissant effet. La foule, qu’il faut avoir étudiée pour connaître à fond sa suggestibilité, est déjà médusée, la bataille est déjà gagnée avant d’avoir commencé. Quant à la séance, sa présentation est soignée. Si l’opérateur est aussi conférencier — ce qui manque à la plupart — la conférence est un moyen de préparer mieux encore l’attention émerveillée du public. Ce qui fit le succès de Donato, c’est surtout qu’il s’exprimait avec aisance, qu’il pouvait engager des discussions, des polémiques avec les personnes instruites de l’auditoire, sur l’hypnotisme et la suggestion qu’il avait assez approfondis.
H. DURVILLE
A lire :
– Le Magnétisme animal : études sur l’hypnose d’Alfred Binet et Charles Fere. Ouvrage publié en 1887 et réédité en 2006 aux Editions L’Harmattan.
– Cinéma et Hypnose.
– Hypnose et cinéma muet.
– Les révélations d’un magnétiseur.
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