Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
J’ai été piqué par le virus de la magie à l’âge de huit ans, en regardant chez mes grands-parents la scène du Bonneteau dans le film M le maudit de Fritz Lang. Pour résumer très très très vite : tout de suite j’ai eu envie d’en savoir plus tant et si bien que, dès le lendemain, j’ai traîné ma mère au magasin « Mayette magie moderne ». Elle m’y a acheté mon premier tour, le premier d’une longue série, avant que je n’achète moi-même la boutique trente trois ans plus tard !
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
La chance a voulu que j’habite sur le Cours de Vincennes, où, à l’époque, se déroulait chaque année La Foire du Trône. Juste en bas de mes fenêtres se produisait le Professeur Renelys, un camelot célèbre parmi les magiciens. Comme c’était là, juste à côté de chez nous, ma mère (ultra protectrice, il faut le dire, eh oui, c’était une Sicilienne !) me permettait de descendre seul le rejoindre. Elle me regardait de la fenêtre pour vérifier si tout était en ordre ! Je restais donc avec lui littéralement pendant des heures. Ma maman aussi (Lol).
J’observais avec passion Renelys vendre ses objets magiques. A force, je connaissais les textes de ses tours tellement par cœur, qu’il m’arrivait d’officier à sa place derrière son stand, sous son œil fier et bienveillant ! Voilà, c’est notamment un peu comme ça que je me suis lancé, petit à petit. C’était merveilleux. Je l’ai suivi pendant des années, comme près du cinéma le Grand Rex où il avait aussi l’habitude de se poster quand La Foire du Trône était terminée.
Pour résumer rapidement, cette période Renelys/Mayette a duré toute mon enfance. Je ne travaillais pas encore vraiment la magie à fond. J’étais plus passionné par l’Aïkido. En fait je me cherchais. J’étais tellement peu doué pour les études traditionnelles, que j’ai quitté l’école à 16 ans. J’ai enchaîné des petits boulots : par exemple vendeur de télévisions au BHV !
En 1970, à 20 ans, je me suis marié et je cherchais toujours ma voie. Et puis, en 1972, Renelys, dont j’étais resté très proche, m’a emmené au club Le « French Ring » (ancien nom du CFI actuel). Et je n’ai pas du tout aimé la magie que j’y ai vue. Par contre, ce jour-là, j’ai fait une rencontre déterminante : Gaëtan Bloom, qui adorait comme moi la magie de close up, encore peu en vogue à l’époque. Gaëtan m’a alors donné quelques cours et là, ce fut le vrai déclic. J’ai alors travaillé comme un fou, jour et nuit, en particulier les cartes : trois mois plus tard, c’est Gaëtan qui m’a demandé d’être son professeur et très vite, on m’a considéré comme « LA » référence française en cartomagie.
Cette période, où j’ai vraiment étudié seul, dans mon coin, de façon autodidacte a été vraiment très prolifique (à cette époque, pas de DVD ni d’ouvrages spécialisés car tout ce qui était vraiment intéressant à mon goût était en Anglais, donc inaccessible pour moi !). C’est là où j’ai construit mon univers magique, mes propres techniques, des effets nouveaux pour leurs temps. C’est en 1973 par exemple que j’ai crée L’Imprimerie et en 1974 que j’ai sorti le premier volume de ma série Cartomagie 2000, les premiers livres pédagogiques en français traitant de la cartomagie moderne (publiés grâce à l’aide de Jean Merlin qui a été le seul à croire en moi dans ces années-là).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Fin 1972 Pierre Switon m’a permis de rencontrer Freddy Fah qui a compté beaucoup dans mon parcours magique : c’est grâce à lui, que j’ai pu approcher des gens comme Philippe Fialho ou Franck Garcia. Et puis il y a eu la FISM à Paris en 1973, qui a été un événement décisif pour moi car j’y ai rencontré les plus grands, dont Brother John Hamman, Dani Ray, Freddy Fah, Fred Kaps, Ricky Jay… autant d’artistes qui ont bouleversé littéralement ma vision de la magie et m’ont donné envie de repousser encore mes limites.
Un peu dans un autre registre, je dois parler aussi de Guy Lux qui m’a donné ma chance dans une émission de grande écoute, si je puis m’exprimer ainsi (« Top Club » en 1979). Et d’Olivier Lejeune qui a toujours cru en mon talent.
Bien sûr je ne dois pas oublier également Ernest Pancrazi, le plus grand cartomane français de l’après-guerre, dont l’extrême exigence m’a aidé à me dépasser sans cesse. C’est lui qui a donné ses lettres de noblesse au close up moderne en France et nous a permis de jouer dans la Cour des Grands dès le début des années 1960. Je lui dois énormément.
Et puis il y a d’autres personnes très importantes pour moi comme Richard Ross, Persi Diaconis, Gaëtan Bloom évidemment et tant d’autres ! Et surtout, bien sûr, il y a Marie-Christine, ma femme depuis 40 ans cette année (nous sommes en 2010 à cette heure !), qui est aussi mon amie, ma confidente, mon double. Elle me supporte depuis toujours et m’a permis d’arriver où je suis. Ma fille Alexandra (comment ne pas être un homme comblé d’avoir pour partenaire, confidente, coscénariste, sa propre fille !) et des amis très proches et très fidèles qui sont aussi de vrais piliers pour moi comme : Quoc-Tien Tran (un ami de 40 ans qui m’a aidé notamment dans la fabrication minutieuse de très nombreux tours de mon cru), Sophie Nguyen (mon bras droit depuis 20 ans, qui s’occupe entre autre avec brio de tout mon matériel magique, un exploit), Adeline Galland (ma collaboratrice depuis 15 ans, qui s’occupe de toute la partie administrative et commerciale de notre équipe) ou encore Philippe de Perthuis (mon ami depuis 30 ans, ingénieur de Centrale, artiste génial et véritable « touche-à-tout » qui m’aide tant dans tellement de domaines). Bref, je suis vraiment très bien entouré et c’est une chance inouïe.
Sinon, pour répondre à la question « un évènement vous a-t-il freiné » : je dirais que, comme tout le monde, j’ai bien sûr été parfois affecté pas les aléas de la vie. Et puis j’ai sans cesse été attaqué par certaines personnes jalouses qui ont cherché (et continuent) en vain à me nuire, mais, malheureusement pour elles, je ne crois pas qu’elles m’aient freiné. Au contraire elles m’ont boosté ! Elles m’ont donné envie de me battre encore plus fort et d’aller encore plus loin !
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Comme vous devez le savoir ma passion a toujours été la magie de close up. Au début je la pratiquais de table en table ou debout en cocktail, quand ce n’était pas encore répandu comme maintenant. Puis j’en ai eu marre au point d’avoir envie de monter le Double Fond en 1988, rien que pour pouvoir enfin m’exprimer, à ma guise, dans de VRAIS spectacles complets d’1h30 de « close up de scène ».
Quelles sont les prestations de magiciens qui vous ont marquées ?
Dans un certain désordre et au risque de me répéter pour certains : Ricky Jay (le plus important dans ma vie, et en plus, j’ai la chance d’être en relation avec lui : le bonheur !), Larry Jennings (pour sa technique et ses idées machiavéliques, en particulier en ce qui concerne toutes les subtilités de la magie des cartes), Derek Dingle (le plus grand technicien de l’époque, le meilleur cartomane du monde dans les années 1970/80), Gary Kurtz, Franck Garcia (qui m’a donné le goût des mélanges sur table et des tricheries au poker, tout en restant dans le cadre de la magie), Fred Kaps (le meilleur magicien de la Planète dans la période 1970 à 2000, même s’il est mort en 1980), Albert Goshman (le maître de la misdirection, du détournement d’attention, des temps forts et faibles, un des très rares créateurs de vraie magie, selon moi), Michael Weber (le maître de l’effet impromptu), Brother John Hamman (un esprit créatif débarrassé de tout a priori, qui a su transformer des tours de cartes en purs instants de magie), Jimmy Grippo (le roi des cartes à la poche, entre autres), Johnny Paul (pour m’avoir fait comprendre qu’un magicien, un vrai, ne ressemble pas forcément à l’image stéréotypée qu’on s’en fait de prime abord), Charlie Miller (pour ses techniques secrètes, sa magie si particulière, alliant sans cesse le classique et le moderne), les Pendragons (pour avoir dépoussiéré l’illusion de « La malle des Indes » en particulier), Siegfried and Roy (les maitres des grandes illusions sur scène, en direct live), Vito Lupo et sa femme si belle (pour m’avoir fait aimer la magie de scène), Tom Mullica (pour m’avoir convaincu que le « close up de scène » était la voie à emprunter), David Williamson…
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Ma spécialité est le close up mais je suis attiré par toute forme de magie bien faite et bien pensée . J’aime l’intelligence, la subtilité, la grâce, l’humour. J’aime les bons artistes.
Citez un ou deux tours qui vous viennent à l´esprit comme les plus beaux à regarder, puis les plus beaux à pratiquer.
Les salières de Goshman, les billets de Kaps, les objets magiques de Taytelbaum (de vrais bijoux !) et tant d’autres.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Croire en son étoile et la poursuivre avec ténacité. Travailler sans relâche et garder confiance en soi.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Un regard très positif. Je trouve que, petit à petit, le monde étriqué de la magie s’ouvre à tous les niveaux : plus de créativité, plus d’ouverture d’esprit. Il y a une nouvelle génération de magiciens qui font vraiment avancer les choses comme Sébastien Clergue ou Eric Antoine pour ne citer qu’eux bien sûr car il y en a plein d’autres ! Enfin la magie commence à sortir de ses carcans : chapeau, fracs, femmes vulgaires et musique ringarde. On en voit encore beaucoup trop (ah les galas et les concours dans les congrès !) mais on commence enfin à voir de vrais artistes qui utilisent leur cerveau et qui ne sous-estiment pas la magie.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Selon moi elle est essentielle. Je ne compte plus les tours que j’ai créés ou les scénarios que j’ai imaginés ou bien encore les textes que j’ai écrits après avoir vu tel film ou telle prestation d’acteur, ou bien après avoir écouté tel musicien. Tout est lié car la magie est un Art ! Tout est source d’inspiration : la culture bien sûr mais je dirais la vie en général.
Quand on me demande quelle sont mes sources d’inspiration en magie je réponds souvent : Woody Allen, Robert De Niro, Al Pacino, Dustin Hoffman, Sacha Guitry, Les Beatles, Michael Jackson, Michel Polnareff, Lino Ventura, Jean Gabin, Laurel et Hardy, Steve Mac Queen, Cat Stevens, Jacques Brel.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Je suis un fou de cinéma et de musique Pop. J’adore les jeux en général : les jeux de cartes (Poker, Tarot, Barbu…), les jeux de société, le billard, les fléchettes, le bowling. Je lis beaucoup : la presse (tous types de revues, de la plus sérieuse à la plus futile) et beaucoup de livres, surtout des autobiographies. Et puis j’aime être en famille : profiter des miens et de mes amis, profiter de la vie avec ceux que j’aime. Ah oui, j’adore manger aussi ! On me dit assez épicurien.
– Interview réalisée en août 2010.
Crédit photos : Le Double Fond – Dominique Duvivier. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.