Création magie et interprétation : Bébel Le Magicien. Ecriture : Anne Artigau et Belkheïr Djénane. Mise en scène : Anne Artigau. Voix : Élise Caron.
A neuf ans, il avait déjà une passion pour les exercices d’illusionnisme avec des cartes, dans le quartier des Halles ou à Saint-Germain-des-Prés à Paris. Belkheïr Djénane, dit Bébel Le magicien, est devenu un spécialiste de ce qu’on appelle la « cartomagie ». On l’a vu au cinéma, à la télévision et au théâtre et il a été lauréat de la Colombe d’Or à Juan-les-Pins. Il a aussi conseillé le grand Yann Frisch, lui aussi « carto-magicien ».
Ici, dans la petite salle du Rond-Point, il emmène le public – malheureusement pas très nombreux comme dans beaucoup de salles de ce début de rentrée – là où il veut ! Sur le plateau, il est assis à une table rectangulaire nappée de noir avec au-dessus, deux caméras pour retransmettre ses tours sur un grand écran. Le tout remarquablement éclairé ! Traduisez : juste ce qu’il faut et pas n’importe où… la lumière étant un précieux atout dans la réussite des numéros. Mais nous devrons choisir entre voir Belkeïr Djénane bien là à quelque mètres de nous et l’image projetée en vidéo où, de ses seules mains (ou presque ?), il travaille en expert incontestable avec les cartes. Entre autres – c’est mission impossible de tout raconter en détail, Belkeïr Djénane fait apparaître les quatre as qui sortent d’un paquet comme par miracle et qui se transforment en quatre rois, le temps d’un éclair, ou encore une dame de pique, sa préférée semble lui obéir, arrivant tout d’un coup dans sa main gauche qu’il a levée face à nous. La carte était bien quelque part mais où ? En tout cas, semble-t-il, pas dans sa manche, puisqu’il ne porte pas de veste… Très impressionnant, puisqu’il réussit à nous faire douter – et comment ! – de notre perception immédiate…
Un paquet de cartes très vite et majestueusement étalé par Belkeïr Djénane disparait d’un seul coup et il montre aussi vite un jeu de tarots d’où il réussira, entre autres tours, à faire sortir une carte du jeu précédent… Nous sommes fascinés, troublés, incapables de savoir quand notre mémoire n’a pas capté la minime mais pourtant cruciale, manipulation. Même si, à de très courts instants, semble-t-il, la table ne semble pas seulement servir qu’à poser les cartes… La magie est aussi fondée aussi sur un certains nombres de trucages et cela ne date pas d’hier… Le fameux vase grec du VIe siècle avant J. C. – que l’on peut voir au Louvre – où on pouvait sans fin verser de l’eau, était muni d’un siphon ! Une performance technique qui joue aussi sur la frustration et comme on en voit peu, sinon chez Yann Frisch…
Anne Artigau qui a réalisé la mise en scène avec lui, « confie aux cartes le rôle principal, organise avec lui un voyage unique dans un effarant imprévisible. » (sic). On veut bien mais le début est un peu cahotant : Djénane se contente souvent de manipuler ses cartes sans dire grand-chose ; cela crée comme un vide et c’est dommage. Anne Artigau a imaginé aussi des projections sur grand écran en fond de scène avec de grandes baies vitrées par lesquelles on voit une vidéo de ciel bleu avec nuées noires dans un fracas d’orage, une voix off, et une carte qui vole pour arriver, bien entendu, dans la main droite de Belkeïr Djénane.
Tout cela parasite le spectacle et rien à faire quand on voit un artiste aussi doué : l’un des meilleurs au monde dans sa spécialité. Cette prothèse que constitue un écran, nuit forcément à la communication avec un public. Pourquoi – il y avait la place suffisante – n’avoir pas utilisé juste le plateau pour réunir public et magicien ? Et comment croire une seconde à ce charabia prétentieux : « Tels des entomologistes, ils interrogent la magie sur ses conditions d’existence : ils font des découvertes inattendues. Le simple retournement d’une carte peut exprimer le drame, l’impressionnant, l’humour, l’émouvant, dire le fond de son âme sans le secours des mots. Pour ce nouveau spectacle, Bébel et Anne créent une partition dramaturgique (sic) composée des sensations que dessinent les cartes. Avec pour inspiration, le rapport mystérieux et charnel que les cartes entretiennent avec Bébel ! Bébel et la metteuse en scène Anne Artigau s’allient, pour faire voler en éclats les systèmes, peut-être même les lois qui régissent les tours, et ainsi, bâtir les fondements d’une pratique où l’effet magique est langage. »
Bébel lors d’une représentation dans la rue à la sortie du métro Mabillon à Paris (2010).
Tous aux abris… Un peu de simplicité ne nuirait pas et non, les cartes en elles-mêmes ne procurent pas de « sensations », non il n’y pas de partition dramaturgique, non l’effet magique n’est pas langage mais élément d’un spectacle… Mais bon, comme dit la Bible : « Et le vent les emporta, sans qu’aucune trace n’en fut trouvée. » Reste quand même ici un solide et brillant exercice de « cartomagie » et pour qui n’en a jamais vu d’aussi près, cela vaut le coup d’y aller faire un tour au Théâtre du Rond-Point… Et cela peut être une occasion pour tous les créateurs de réfléchir à ce que peut être un spectacle de magie ou autre. Il faut absolument créer une parenthèse vécue dans un présent absolu – un tour chasse l’autre sans répit – et une sorte de rupture avec la vie réelle, pour créer un moment exceptionnel grâce à une volonté d’empathie… Comme ailleurs – mais ce n’est pas toujours le cas ici – il doit y avoir une unité dramaturgique, relevant de l’action, du temps et de l’espace… Ce qu’avait sûrement bien compris Belkeïr Djénane, quand il jouait dans la rue… Rien à faire, c’est toujours dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleurs spectacles. Et dans tous les cas, mieux vaut bien déterminer le lieu d’action – ce que tous les grands dramaturges ont senti depuis des siècles et ensuite harmoniser les modes de communication verbale, non verbale, spatiale, etc.
Source : Théâtre du Blog.
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