Direction musicale : Vincent Dumestre. Mise en scène : Omar Porras.
La zarzuela est un genre théâtral lyrique espagnol né au XVlle siècle qui associe partition orchestrale, chants et dialogues parlés. Proche de l’opéra comique et du singspiel allemand. Ecrit en deux journées (ou actes), le livret ténu de Coronis est tiré des Métamorphoses d’Ovide Un argument simple mais avec retournements de situations. La nymphe Coronis, une prêtresse de Diane, chasse dans les bois, quand elle est capturée par le monstre marin Triton. Cet amoureux brutal et maladroit sera expulsé par les villageois. Mais une guerre éclate entre Apollon et Neptune pour gagner le cœur de l’héroïne, au grand dam du peuple, représenté par le mage Protée, il ne sait plus à quel dieu se vouer : « Est-ce à Neptune ou à Apollon, qu’on doit adresser nos prières ? » Qui choisir comme souverain quand le dieu Soleil embrase le pays et quand celui des mers l’inonde ? Après des péripéties amoureuses et guerrières, Apollon tuera Triton et sauvera Coronis. Et Jupiter les sacrera roi et reine…
Créée à Madrid en 1705 devant le roi Philippe V, cette pastorale mythologique baroque reflète la situation politique du moment : la flotte anglaise menaçait Barcelone, en pleine guerre de succession d’Espagne (1701-1713). Coronis ne représente-t-elle pas cette couronne espagnole âprement disputée par les puissances européennes ? Message clair : Sebastián Durón prédit la victoire des Bourbons : le soleil d’Apollon est l’emblème de Louis XIV, roi de France et grand-père de Philippe V…
Sebastián Durón commence sa carrière à trente-cinq ans à la Cour de Madrid en 1695 et la termine en exil, en France où il meurt en 1716. Nous redécouvrons ce compositeur tombé dans l’oubli depuis trois siècles avec ce spectacle co-produit en 2019 par le théâtre de Caen et l’Opéra-Comique. Vincent Dumestre, grand défricheur du répertoire baroque à la tête de l’ensemble Le Poème Harmonique dirige Coronis une pièce dont le mélange original d’instruments paraît aujourd’hui curieux. L’orchestre est dominé par les cordes : une harpe (la basse continue dans la musique espagnole), un orgue et un clavecin. Mais les vents : flûtes, basson et hautbois, pour les passages belliqueux, sont en nombre limité. Quant aux arias, dit Vincent Dumestre, « La partition témoigne d’une variété d’influences, avec lamenti poignants à la mode italienne et tonadas, chansons populaires espagnoles. » Guitare, tambourin et castagnettes apportent à certains morceaux un peu d’exotisme et le rythme emporte le public.
Etonnante aussi la distribution où les rôles principaux sont confiés à sept femmes, pour la plupart mezzo sopranos, à l’exception du rôle-titre : Marie Perbost à la voix et au corps agiles (révélation des Victoires de la musique 2020) et Iris l’envoyée de Zeus (Eugénie Lefebvre), toutes deux sopranos. Un seul ténor joue Protée (le puissant Cyril Auvity). Dans les théâtres espagnols, seules, les femmes chantaient et, à l’exception des rôles de barbons, jouaient les dieux virils ou les bergères accortes. Les hommes étaient, eux, attachés exclusivement au culte catholique. Le chœur, ici très réduit, comprend deux sopranos, une alto et un ténor. Parmi les autres personnages, se détache le couple populaire Ménandre le bègue (Anthea Pichanick, contralto) et Sirène l’acariâtre (Victoire Bunel, mezzo-soprano) dans une scène de ménage hilarante.
Le chœur des villageois intervient en ouverture pour situer l’action dans un environnement rustique de bois et prairies : « A la montagne ! A la forêt ! Au champ ! A la falaise ! » Toujours présent, il participe aux aventures de la nymphe vertueuse et commente les assauts de Triton : excellente Isabelle Druet dans un beau duo où son timbre chaud de mezzo se superpose à celui, plus clair de Marie Perbost.
Sixième mise en scène d’opéra pour Omar Porras qui renoue ici avec sa langue natale. Laissant libre cours à son goût pour le baroque, il ancre la pièce parmi des saltimbanques venus raconter une histoire : danseurs, acrobates, contorsionnistes accompagnent ainsi les comédiens-chanteurs de leurs facéties et ce traitement burlesque contamine jusqu’aux moments les plus dramatiques. Et dans des joutes carnavalesques, Marielou Jacquard et Caroline Meng donnent à Apollon et Neptune, guerriers empesés dans leur superbe, un caractère décalé. Amélie Kiritzé-Topor a imaginé une grotte romantique, antre du vieux Protée dont le chaudron s’enflamme pour appuyer ses prédictions. Pas de machinerie compliquée mais des rideaux pour faire apparaître et escamoter les personnages, ou parfois laisser deviner des scènes en ombres chinoises. Triton rampe hors de la fosse d’orchestre et, dans un feu d’artifice, Apollon surgit d’un vieux coffre d’accessoires tel un diable doré… Ou il traverse l’avant-scène en majesté, juché sur les épaules d’un porteur dissimulé sous une longue traîne. Les costumes rutilants des Dieux contrastent avec la nudité de la nymphe chasseresse, comme avec les habits en toile écrue des villageois. Cette réalisation pétillante et fluide, d’une belle qualité visuelle et musicale, donne une large place au rire. Jusqu’au titre, qui, aujourd’hui, peut paraître ironique… En effet, selon Ovide, Coronis vécut avec Apollon et enfanta Esculape, dieu de la médecine.
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Stefan Brion – Opéra-Comique. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.