Extrait de Foyers et coulisses : histoire anecdotique des théâtres de Paris par H. Buguet et G. d’Heylli Tome 6, édition Tresse (Paris, 1873-1885).
A cette époque, le Gymnase Enfantin, situé passage de l’Opéra, ayant brûlé, sa troupe vint demander asile à M. Comte qui compta ainsi, entre autres nouveaux artistes Poulet, Rubel, Colbrun et Alphonsine, la joyeuse actrice des Variétés et du Palais-Royal. A partir de cette époque, le théâtre fit des recettes suffisantes.
L’habile physicien possédait l’art d’attirer le public sans autre magie que son intelligence. Il avait des réparties charmantes et une manière de terminer la soirée d’une façon toute galante pour les dames. Au commencement, M. Comte annonçait à un public qu’il ferait disparaître toutes les spectatrices à la fin du spectacle. Après des tours de prestidigitation des plus habiles, M. Comte se présentait les mains vides en disant : « Messieurs, je vous avais promis au commencement de cette soirée de faire disparaître toutes vos dames (et ici le galant physicien faisait apparaître miraculeusement un splendide bouquet de roses en ajoutant) : « Veuillez me dire si elles ne sont pas toutes réunies là ? » Aussi ce publie composé d’enfants et de grandes personnes ne tarissait-il pas. Mais un décret ministériel de 1846 défendit tout à coup aux directeurs d’engager sur leurs théâtres des enfants âgés de moins de 15 ans. M. Comte continua néanmoins de représenter des ouvrages enfantins avec cette simple différence qu’il les fit interpréter par des jeunes gens.
Les pièces du théâtre Comte, dont nous donnons ci-dessous la nomenclature, rap-portaient à leurs auteurs un droit fixe de 3 et 5 francs par acte, ainsi que l’attestent
encore aujourd’hui les registres de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques. Nous donnons ici les titres des pièces représentées sur le théâtre Comte de 1832 à 1845 :
Jonas, les Iles Marquises, une Fille de la Légion d’honneur, Jocrisse corrigé, le Moulin, les Deux Roses, le Père ouvrier, le Premier pas dans le monde, l’Ange gardien, le Jugement de Salomon, la Dot d’Auvergne, le Petit Chaperon-Rouge, les Enfants terribles, les Hommes de quinze ans, Pauvre enfant ! Grippe-Soleil, la Jeunesse d’un grand roi, la Fille colère, les Charpentiers, Byron à l’école d’Harrow (par les frères Gogniard), le Prix Monthyon, la Peau de singe (de Williams du Chatelet), la Mère Michel, le Bal masqué, l’Artiste et le Soldat, les Ombres Chinoises, Une Mère, la Duchesse, Madame de Genlis, les Petits Souliers (par D’Ennery), la Préface de Gil-Blas, l’Ouvrier de Paris, Duguesclin, le Précepteur de son maître, la Caisse d’Epargne, le Pélerinage, la Dame voilée, Ketly, le Bon et le Mauvais chemin, Kean, le Peloton de fil, l’Enfant de troupe, l’Expiation, le Mariage des morts, l’Atelier de Charlet, l’Avare, Racine en famille, le Troc des âges, la Longue paille, Mille écus, les Bas de soie, l’Enfant volé, la Jeune Fille et la Jeune Fleur, les Cinq couverts, la Menteuse, C’est avoir du Bonheur, le Garçon a trois visages, Paul et Virginie, le Cordonnier, les Aventures de Jean-Paul Choppart, Mélusine, les Rats, l’Etudiant, les Enragés, les Anglaises, Si j’étais grand, la Reine en famille, la Petite Gouvernante, le Lapin couronné, les Coups de pied, Annibal et Carrache, Voltaire chez Ninon, Château d’Arcueil, la Jeunesse de Voltaire, Louis XV, l’Audience du roi, Tourniquet, Dévorant 1er les Plaisirs de la chasse, la Fée Urgande, les Niches de César, le Gentil Hussard, la Pie voleuse, le Parapluie enchanté, Michel-Cervantes, Perrin et Lucette, Riquet à la houppe, le Fils du Pêcheur, Kokoly, Monte-Christo, les Troupiers en gage, Cromwell, les Jeunes Lions, le Conscrit de Chatou, le Menuisier de Nanterre (par Xavier de Montépin), les Poires de bon chrétien (par Jules Adenis), A la fraîche qui veut boire (par le général Berruyllier, dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, les Restes d’un gigot (par Mme Ancelot et le marquis de Redon), l’Homme de Carentan, les Mystères de la vertu (par Xavier de Montépin), la Fée de Bretagne, la Partie de dominos, Monsieur Jean, le Turban du Marocain, le Marin, la Mort aux rats, Ah! Mon bel habit ! l’Auberge du crime, la Maison des fous, l’Enseiqne ou la Destinée, la Poule, une Femme du Peuple, Don Quichotte, les Deux Edmond, un Mari en état de siège, les Saltimbanques de Romorantin, le Marquis, En Californie, le Mariage au bâton, Pris dans ses filets, leFils du RempailleurL le Bureau d’omnibus, le Père du débutant, une Première-faute, les Deux Mousquetaires, le Petit Prophète, un Voyage dans l’air, Catherine Howard, Jérôme Paturot, le Parleur éternel, Page et Baronne, de Berger de Normandie, la Vendetta, la Mar- raine, 90, 92, 94, les Enfants modèles, les Talismans du Diable, Colombe et Hibou, le Philanthrope, le Compère Guilleri, Bouillis et Rôtis, le 10 Décembre, la Bûche de Noël, l’Aveugle et le Voyant, la Croix d’or, les Frères féroces, les Rentes viagères, Arlequin dans un oeuf, la Demoiselle et la Dame, Paris en loterie, le Savetier de Séville, la Belle et la Bête, le Musée pour rire, Gargantua, un Ballon dans, le soleil, la Poudre de Perlinpinpin, le Bonheur dans la famille, la Queue du diable vert, la Tirelire blanche, Vinaigre et moutarde, le Parapluie fantastique, la Fée poulette, l’Elève de Saumur, les Trois Bossus de Damas, les Mille et un guignons de Guignol, A bon chat bon rat, le Lièvre et la Tortue, les deux Dîners, Royal-Bonbon, la Niche de Torn, Petit Jacques, le Père Langevin, etc., etc., etc.
Cependant le décret de 1846, qui avait forcé « Papa Comte » de se séparer de ses chers enfants, le découragea à ce point qu’il céda son théâtre, pendant quelque temps, à un nommé Lefebvre, auquel devait succéder l’homme intelligent, le compositeur émérite, qui allait fonder les Bouffes-Parisiens, passage Choiseul, au lieu et place du Théâtre Comte. Nous empruntons une grande partie des détails qui vont suivre à Argus.
JACQUES OFFENBACH
Offenbach est né à Cologne, en 1820. Son père, qui était maître de chapelle, fit son éducation musicale. A treize ans, Offenbach, doué d’un talent de violoncelliste déjà
remarquable, entrait au Conservatoire. Il en sortait bientôt pour prendre une place dans l’orchestre de l’Opéra-Comique, aux appointements de 83 francs par mois.
Placé au même pupitre que Seligmann, il avait imaginé, de concert avec celui-ci, le moyen suivant pour ne pas se fatiguer à faire sa partie. En effet, au lieu de l’exécuter comme elle était écrite, il était convenu avec Seligmann qu’il se contenterait, lui, Offenbach, d’en jouer la première note, Seligmann la seconde, Offenbach la
troisième et ainsi de suite. Il va sans dire que cette exécution fantaisiste plaisait peu à Valentino, le chef d’orchestre d’alors.
Offenbach occupait les loisirs que lui laissait son violoncelle, à composer des opéras qu’il espérait bien faire jouer un jour… ou l’autre. C’est à cette époque qu’il composa les airs d’un vaudeville célèbre, joué au Palais-Royal : Pascal et Chambord, d’Anicet Bourgeois et Brise- barre. Plus tard, il fit représenter au théâtre de la Tour d’Auvergne un opéra comique qui peut passer pour sa première pièce. Il était intitulé : l’Alcôve, et était chanté par Barbot, Malezieux et Mlle Rouvray. Il se mit aussi à faire des romances et des chansonnettes et eut la Singulière idée de mettre en musique…. devinez quoi ?… Les Fables de Lafontaine ! qui eurent un immense succès.
En 1847 Arsène Houssaye, étant directeur de la Comédie-Française, fît appeler Offenbach et le nomma chef d’orchestre de la maison de Molière (style consacré).
La place était belle et flatteuse assurément, mais la musique de scène qu’il avait à composer pour accompagner les entrées et les sorties des personnages de tragédie
et de comédie ne pouvait satisfaire l’ambition du futur maestro qui sentait le génie musical prêt à sortir armé de pied en cap de son cerveau.
Il n’eut cependant qu’à s’enorgueillir des relations que lui valut son bâton de chef d’orchestre. Au Théâtre Français, il connut Alfred de Musset, qui lui confia les couplets du Chandelier que le poète faisait répéter lui-même, rue Richelieu.
Sans Musset, Offenbach n’aurait donc pas composé cette adorable Chanson de Fortunio, qui lui inspira quelques années plus tard le délicieux opéra comique intitulé, lui aussi : La Chanson de Fortunio. Mais Offenbach ne voulait pas vieillir au Théâtre-Français. Il multiplia ses concerts le plus possible avec le concours d’artistes comme Roger, Hermann-Léon, et Mmes Ugalde et Sahatier à qui il fit jouer ses petits opéras comiques (le mot opérette n’était pas encore inventé). C’est ainsi qu’il donna dans un festival à la salle Hertz : le Trésor à Mathurin, devenu depuis : le Mariage aux lanternes. A la suite de la Révolution de 1848, Offenbach quitta la France et employa ses loisirs forcés à composer des opéras, notamment un grand : la Duchesse d’Albe, qu’il ne put jamais caser nulle part. C’est alors qu’il comprit que le meilleur moyen pour se faire jouer c’est d’être directeur soi-même.
Aussitôt pensé, aussitôt fait. La salle du prestidigitateur Lacaze (il était voué à la prestidigitation !), située aux Champs- Elysées au carré Marigny, était à louer.
Offenbach la loua et le 5 mai 1855 (année de l’exposition), il inaugurait le théâtre des Bouffes-Parisiens, salle d’été. C’est ici que le privilège, qui lui fut accordé pour son exploitation, mérite une mention particulière. Le Ministère autorisait Offenbach à jouer des saynètes à trois personnages au plus. Peu après quatre furent accordés, ce qui décida l’imprésario-maestro à en solliciter cinq qui lui furent refusés net. Ce que voyant, Offenbach introduisit dans Croquefer un personnage muet, auquel il donna un rôle de chien, qui obtint le succès fou dont tout le monde se souvient.
Le spectacle d’ouverture des Bouffes- Parisiens (aux Champs-Elysées) était composé d’un prologue de Méry : Entrez, Messieurs, Mesdames, d’une pantomime : les Statues de l’Alcade, et des Deux Aveugles. Cette saynète, aujourd’hui plus de deux fois centenaire ! Puis apparurent successivement sur l’affiche et sur la scène :
Madame Papillon, Après l’été, Pierrot clown, Perinette, la Nuit blanche, Elodie, un Postillon en gage, le Rêve d’une nuit d’été, le Thé de Polichinelle, une Pleine- Eau, les Pantins de Violette Vénus au Moulin, d’Ampiphros, les Dragées du Baptême, Marinette, la Parade, Tromb-al – ca-zar. Les recettes encaissées pendant l’année 1855 atteignirent le chiffre inconnu jusqu’alors de 334, 189 francs 35 centimes, et les auteurs encaissèrent la somme de 33,317 francs 75 centimes. Il y avait loin de ce chiffre éloquent celui de 8 francs 50 centimes par jour sous M, Comte ! La troupe de M. Offenbach se composait de MM. Pradeau (fraîchement débarqué de Toulouse), Berthelier, que l’on avait enlevé au concert de la rue du Helder, Darcier, Mlle Schneider, qui fit ses débuts dans Tromb-al-cazar, Mlle Macé (au- jourd’hui Mme Montrouge) et Dalmont.
Ces artistes de talent obtinrent un tel succès avec le répertoire d’Offenbach, que M. Comte n’hésita pas à placer son théâtre sous l’invocation heureuse de ce compositeur. Le théâtre Comte rouvrit ses portes au mois de novembre 1855, sous le titre de : Théâtre des Bouffes-Parisiens, salle d’hivers. On connaît la suite : Les sept années de la direction Offenbach aux Bouffes auront été sans contredit les plus belles et les plus fructueuses de ce théâtre. Le célèbre maestro a touché jusqu’à 200,000 francs de droits par an à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. C’est qu’aussi pas un ne sait prêter plus habilement son concours à tous les genres scéniques sans exception. Nouveau Gusman, il ne connaît pas d’obstacles. Sur tous les théâtres d’Europe on a entendu et applaudi sa musique, qu’elle fût d’opéra, d’opéra-comique, d’opérette, de drame, de féerie ou de vaudeville. Son talent n’a pas seulement enrichi les Bouffes, il n’a cessé de faire tomber une pluie d’or sur le théâtre des Variétés, qu’il a gratifié des plus beaux fleurons de sa couronne : la Belle Hélène, la Grande Duchesse, la Périchole, Barbe-Bleue et les Brigands.
Voici, d’après un journal américain, le Baltimore-Gazette, l’origine d’Orphée aux Enfers et de la Belle-Hélène. « Offenbach, alors qu’il était chef d’orchestre au Théâtre-Français, a été tellement saturé et dégoûté de tragédie classique, qu’il s’en est vengé depuis en composant ses opérettes. »
M. Offenbach a pris la direction du théâtre de la Gaîté, après la mort de M. Boulet, le 18 juin 1873. L’habile impresario nous a prouvé, dès le jour de la première du Gascon (le drame de réouverture), que le choix des artistes et la mise en scène, sont choses auxquelles il s’entend d’une façon admirable. Ses succès comme directeur ne l’ont pas empêché d’obtenir de nouveaux triomphes comme compositeur. Nous n’en voulons pour preuve que les deux actes nouveaux qui se jouent à la Renaissance Pomme d’Api et la Permission de dix heures.
Offenbach a composé, à l’heure qu’il est, plus de quatre-vingts opéras, c’est- à-dire quelque chose comme plus de deux cent cinquante actes de musique. C’est un travail de trois hommes pour un seul, aussi le succès le plus immense, le succès le plus incontesté a-t-il sacré Offenbach compositeur français bien avant sa naturalisation. Le célèbre maestro a tous les honneurs qu’un homme puisse rêver. Le ruban de la Légion d’honneur brille à sa boutonnière depuis une douzaine d’années. La fortune non plus ne lui a pas été rebelle, au contraire. Avant d’arriver à Etretat, le touriste peut voir la villa Orphée, magnifique propriété où, dès que vient la belle saison, le célèbre J. Offenbach va se reposer (toujours en travaillant), au milieu d’une charmante famille qu’il adore et dont il est adoré. Nous devions bien ces souvenirs biographiques à celui qui est la personnification même des Bouffes, dont le nom est inséparable de celui d’Offenbach, qui, quoi qu’on dise, ne changera jamais la devise qu’il a prise il y a plus de trente ans, en nous apportant son talent : Français de coeur, Parisien d’âme.
Crédits photos – Documents – Copyrights : Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.