Quel a été votre parcours artistique ?
Je suis né en 1948 à Montmartre, ma grand-mère avait un café en face du Théâtre de l’Atelier. Depuis que j’ai l’âge de raison j’ai toujours voulu faire du théâtre, hélas personne dans ma famille ne travaillait dans le monde du spectacle. Mais mon père adorait le cinéma et j’ai toujours su que je ferai du théâtre, du music-hall mais surtout que je serai propriétaire de mon propre théâtre et de mon propre cirque. En revanche, l’école ne m’intéressait pas. À quatorze ans j’ai quitté le système scolaire pour travailler dans les assurances, puis chez la maison d’édition Hachette. Le véritable déclic a eu lieu lorsque j’ai travaillé dans un magasin d’électroménager où j’ai eu l’opportunité de rencontrer Maria Sandrini qui faisait partie à l’époque des « Trois Ménestrels ». C’est elle qui m’a véritablement introduit dans le métier en m’offrant une place pour aller la voir à l’ABC où elle passait en vedette américaine de Dario Moreno. À l’époque, on jouait au Théâtre de l’Atelier Invitation au Château de Jean Anouilh avec Brigitte Bardot qui faisait ses débuts au théâtre. Puis, L’œuf avec Jacques Duby, Madeleine Barbulée, Jacques Dynam dont j’ignorais à ce moment précis que je les engagerai un jour.
Petit à petit j’ai suivi les « Trois Ménestrels », ils m’emmenaient à l’Olympia, à Bobino et c’est alors que j’ai décidé d’apprendre le théâtre aux « Cours Simon ». Malgré mon jeune âge (seize ans à l’époque), j’ai été accepté. J’ai alors commencé à apprendre le métier là-bas, puis comme tous les jeunes comédiens, j’ai fait des tournées, beaucoup de figurations à l’Opéra de Paris, à la Comédie Française où j’ai rencontré Dominique Besnehard. C’est alors que j’ai été engagé comme stagiaire tout en continuant à suivre des cours au Théâtre des Capucines avec Catherine Brieux. Pour financer mes cours, j’ai exercé différents métiers : ouvreur à l’Empire Cinérama, de la figuration, des tournées théâtrales…
Quelles ont été vos expériences avec la magie et l’illusion ?
J’ai engagé durant un mois le magicien Henri Kassagi (1932-1997) lorsque j’étais directeur artistique du Connétable. Il était pickpocket comme Borra (Borislav Milojkovic, 1921-1998) et travaillait avec la police pour leur apprendre la manière dont les pickpockets volaient. Ses prestations étaient impressionnantes, il était capable de tout dérober. D’ailleurs, lors d’une grande soirée à Monte-Carlo où nous étions invités avec Robert Hossein, Candice Patou et le sculpteur César, Borra a présenté ses tours lors de notre dîner tout en prenant le soin de chiper discrètement la montre de Robert, ce qui nous a tous évidemment bien fait rire. À l’exception, toutefois, du sculpteur César. Ultérieurement, lors de l’une de nos tournées en Suisse avec la comédienne Micheline Dax, nous en avions profité pour assister à une séance au Cirque Knie où Borra était en attraction. Il était déguisé en placeur, mais comme moi je le connaissais, il m’a reconnu et m’a fait un clin d’œil. Malheureusement, pour ceux qui ne le connaissaient pas il profitait de leur ignorance pour leur piquer quelques objets personnels. En effet, il passait en première partie avant l’entracte, ce qui lui permettait de réaliser ses tours de passe-passe en toute discrétion. Borra était capable de tout chaparder : des lunettes, des ceintures, des cravates…
J’ai également produit la pièce L’illusionniste de Sacha Guitry avec Jean-Claude Brialy et Alain Feydeau. Plus tard, j’ai pu rencontrer le célèbre illusionniste français Dani Lary, dont j’avais pu voir son spectacle deux fois au Théâtre Marigny. Mon ancien associé Éric Debeaumont le produisait tout comme le duo comique Shirley et Dino qui s’appelait au départ Achille Tonic. Ils présentaient sous un petit chapiteau près de la gare d’Austerlitz un duo comique. Je m’y étais rendu avec mon ami Patrick Hourdequin (conseiller artistique du Festival International du Cirque de Monte-Carlo et fondateur du Festival Monte-Carlo Magic Stars) où ils présentaient des spectacles. On pouvait consommer des boissons tout en regardant leurs shows. À l’époque, ils proposaient divers numéros avec comme attraction principale Henny Bario (épouse de Freddy Bario, malheureusement disparu) qui faisait un numéro de claquettes.
J’ai également eu l’opportunité de participer à un numéro de grandes illusions lors du Gala de l’Union des Artistes, que nous avions préparé durant une semaine chez Mireldo (Henri Chrétienneau 1910-1994). Nous présentions ce tour avec mon associé Jean-Georges Tharaud, Jean Le Poulain et Corinne Le Poulain. Cependant, le jour J, Jean a oublié de faire la manipulation nécessaire afin de protéger Corinne des flammes… Par chance nous nous en étions rendu compte avec Jean-Georges et nous avions discrètement actionné la manette. Afin de détourner l’attention du public, Jean Le Poulain faisait la danse du ventre, pendant que l’orchestre continuait à jouer sa partition. Tout le public du Cirque d’Hiver riait aux éclats, Jean Marais avait même faillit s’étouffer de rire. Aujourd’hui, Jean-Georges Tharaud est directeur du Théâtre de Passy dans le 16e arrondissement de Paris. Passionné de magie depuis sa plus tendre enfance (Robert-Houdin, Houdini…), il a débuté sa carrière comme magicien professionnel avec le cirque Moralès. De mon côté, j’avais monté dans les années 2000 le Cirque Madison avec mon ami Patrice Roche où nous avions un numéro de grandes illusions. Un jour, en matinée, lors d’un spectacle scolaire, la partenaire du magicien, qui n’était autre que la copine du fils Bario (Tony) qui dirigeait l’orchestre du Cirque d’Hiver, n’eut pas le temps de changer de costume lors du célèbre tour de La Malle des Indes, se retrouvant seins nus devant une salle d’enfants hilares !
Quelles ont été vos expériences avec le cirque ?
J’allais beaucoup au cirque (au Cirque Medrano qui depuis a été détruit, au Cirque d’Hiver Bouglione). J’ai même pu voir le célèbre éducateur animalier Gunther Gebel Williams qui présentait un tigre sur un éléphant. Il montrait aussi au Cirque d’Hiver une petite quinzaine d’éléphants et son épouse, quant à elle, présentait 30 chevaux en piste. Le programme changeait mensuellement, nous permettant de découvrir les vedettes du cirque dont le célèbre trio clownesque « Les Barios », les tigres de Gilbert Houcke…
Parlez-nous de quelques événements clés de votre carrière
Je me suis nourri d’une culture variée. En effet, lorsque j’ai commencé le théâtre comme comédien, je ne ressentais pas un besoin vital de jouer, car ce qui me plaisait avant tout c’était la création. Recevoir un manuscrit, le lire, puis distribuer les rôles, choisir le metteur en scène, créer le décor, choisir le costumier… En lisant les premières pages d’un manuscrit, je savais immédiatement si la pièce serait de qualité et à quel comédien je confierai tel ou tel rôle. Nous avons ensuite créé avec Jean-Georges « Spectacles 2000 » qui a connu un grand succès grâce en partie à mon ami de longue date et mentor Jean Le Poulain (cf. J’ai la mémoire des planches, chapitre Jean Le Poulain Christian Laurent, Ed. La librairie théâtrale). Jean a accepté de devenir le parrain de notre pièce et d’apposer son nom en tête d’affiche de notre spectacle comme metteur en scène. En réalité, j’avais conçu la mise en scène en m’inspirant d’une pièce diffusée à la grande époque de l’émission télé Au théâtre ce soir que Jean Le Poulain avait joué et mis en scène avec Maria Pacôme. J’ai alors pu faire jouer Marion Game, Angelo Bardi, Perrette Souplex. J’étais en quelque sorte l’assistant de Jean Le Poulain qui venait supervisé de temps à autre mon travail, car à l’époque il était sociétaire de la Comédie Française.
Plus tard, j’ai déménagé de mes bureaux rue La Bruyère, je m’occupais toujours des tournées et je continuais à diriger notre théâtre La Comédie de Paris. Je faisais également « Les lundis de la Comédie de Paris », puis j’ai monté la deuxième pièce de mon ami Patrick Haudecoeur Les P’tits Vélos. Nos spectacles étaient vendus dans différentes villes partout en France et notamment en Principauté de Monaco où nous y sommes venus régulièrement pendant vingt-cinq ans. Nos pièces étaient jouées deux à trois fois par an durant une petite semaine. C’est aussi sur le Rocher que mon ami Patrick Hourdequin a lancé le Festival Monte-Carlo Magic Stars qui a fonctionné pendant dix-neuf ans. Il était aussi mordu de théâtre et de cirque, Docteur en Droit, il avait commencé sa carrière en tant qu’administrateur du Cirque Bouglione. Par la suite, il s’est installé en Principauté de Monaco où il a occupé le poste de conseiller du Prince Rainier III pour le Festival International du Cirque de Monte-Carlo, Directeur du Théâtre Princesse Grace (décoré par la Princesse Grace Kelly en personne) et aussi fondateur de « L’Association Monégasque des amis du cirque ». 2024 marquera les 50 ans de la naissance du Festival créé en 1974 avec comme premier chapiteau celui de la famille Bouglione installé déjà à l’époque à Fontvieille.
Avez-vous quelques anecdotes plus personnelles concernant les comédiens avec lesquels vous avez travaillé ?
J’ai collaboré avec Romain Duris qui remplaçait Guillaume Canet dans la pièce Grande École de Jean-Marie Besset. J’ai également produit Jean-Paul Belmondo dans la pièce Frederick. Je suis aussi très fier d’avoir fait faire ses débuts au théâtre à Anthony Delon dans Sud de Julien Green. Sans oublier mes tournées avec mon ami de longue date Robert Hossein, Jean-Claude Brialy, Danielle Darieux, Micheline Dax, dans des pièces de Feydeau, Guitry, etc.
Un mot pour conclure ?
Je souhaiterai reprendre la direction d’un théâtre. Effectivement, j’ai mis en scène récemment les Étoiles de Léo au Théâtre de Passy et je m’apprête aussi à préparer la mise en scène de deux tours de chant, une web série…
À lire :
– J’ai la mémoire des planches de Christian Laurent (Éditions Librairie Théâtrale, novembre 2023)
Interview réalisée avec Christian Laurent en décembre 2023. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisations : Christian Laurent, Jean Rauzier, Philippe Langonnet, Steve Bouteiller et Philippe Langonnet. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.