Si j’en crois l’annonce parue en ce journal même, nous allons avoir bientôt le « Manuel du parfait transmetteur de pensées » à l’aide duquel nous allons tous devenir de plus ou moins éminents télépathes. Je crois qu’au point de vue professionnel, il y aura un sérieux parti à tirer de cet ouvrage (1).
Nous connaissons plus d’un confrère qui, bien qu’attiré par l’occultisme, as jusqu’alors, hésité à en fouler le mystique sentier faute d’une suffisante documentation. C’est une lacune que, nous n’en doutons pas, vont combler de la plus satisfaisante façon les ingénieux auteurs de cet ouvrage.
La plus élémentaire prudence m’engagerait peut-être à me montrer moins affirmatif au sujet d’une autre annonce qu’on voit beaucoup depuis quelques temps, envahir une bonne partie de la quatrième page des grands journaux.
Cette annonce, très suggestive, et elle est bien là dans son rôle, émane du « New York Institut of science » de Rochester U. S. A., lequel Institut vous offre de vous transformer en un extraordinaire hypnotiste. Il ne tient désormais qu’à vous, paraît-il, de dominer la foule et voir toutes les volontés se plier à la vôtre. Vous pourrez également guérir toutes les maladies et aussi, ce qui mérite considération, arriver rapidement à la fortune !
Et les clients abondent, sans réfléchir un instant que si le ou les directeurs de ce fameux Institut, possédaient seulement la centième partie du pouvoir qu’ils prétendent si généreusement donner aux autres, ils n’auraient pas besoin de faire des boniments dans les journaux, pour attirer les bonnes gens et soutirer leur galette.
Il faut en tous cas reconnaître que ce sont des maîtres. Leur annonce est un modèle de suggestion et de roublardise, bien faite pour hypnotiser les âmes candides et même celles qui ne le sont pas.
Tout cela nous ramènera-t-il au beau temps des « séances mystérieuses » ? En tous cas, et à propos d’hypnotisme et de suggestion, je doute qu’on puisse jamais assister à une séance plus amusante, ou, pour mieux dire, plus scientifiquement cocasse que celle qui a eu lieu récemment et au cours de laquelle il a été fortement question d’hypnotisme et de suggestion au point de vue médical et curatif.
Dans cette séance, qui n’a guère plus de trois mois de date, un docteur a sérieusement exposé les remarques curieuses (en effet) qu’il a faites sur l’influence de la suggestion en ce qui concerne — je vous le donne en mille — … le traitement des verrues !
II a même, cet excellent docteur, constaté l’efficacité d’un moyen qui, pour faire disparaître ces désagréables excroissances de chair, consiste — faites bien attention — à jeter plusieurs fois par dessus l’épaule gauche (ne pas confondre), un nombre de petits pois équivalent à celui des parasites dont on veut se débarrasser.
Le moyen, comme on voit, est simple; reste à savoir quel degré d’efficacité il peut bien présenter. Je pense, cependant, qu’en telle occurrence, il faut au moins attendre la saison des petits pois, et, probablement aussi, celle des poires.
On croit, après cela, qu’on peut tirer l’échelle, point. Ce bon docteur, qui ne paraît pas avoir les pieds nickelés, continue à marcher. Il cite encore — tenez-vous bien — l’exemple (que je ne suivrai pas) d’une femme qui fut délivrée de ses petites végétations, en se rendant, plusieurs fois de suite, dans son jardin, à minuit (naturellement) pour exposer ses verrues à la clarté de la lune, en prononçant une invocation déterminée. Il est vraiment regrettable que cet étonnant docteur ne nous donne pas le texte de cette invocation.
D’autre part on frémit en pensant à ce qui serait arrivé, si cette femme n’avait pas eu un jardin pour y descendre à minuit, et si, ayant un jardin, elle n’avait pas eu de lune.
Dans d’aussi peu favorables conditions, il est probable que ses verrues n’auraient rien voulu savoir. Quelle singulière idée aussi a eu cette femme, de descendre, pour faire passer ses verrues, dans un endroit où justement on fait pousser les poireaux!
Si j’écrivais cela dans un journal plus publié que celui-ci, le lecteur se dirait peut-être que je vais décidément un peu loin, et que dans le but de faire un couplet que je crois sans doute très spirituel, je dis simplement des bêtises et me livre plutôt à une plaisanterie d’un goût douteux, etc. etc. Je répondrai à ces téméraires suppositions. Voyez le numéro du journal le Français portant la date du 19 juin 1902. On y verra que ces graves questions ont été agitées (oh combien) le 17 du même mois, dans une des salles du palais des Sociétés Savantes, au cours de la onzième séance annuelle de la société — savante — d’hypnologie et de psychologie.
Ces intéressantes communications ont été faites par M. le docteur Paul Farez, au nom de M. le docteur Ch. Haeberlin de Hambourg. On voit que je cite mes auteurs.
On a vu à cette même séance, qui me paraît détenir un record bien spécial, un autre docteur, qui n’hésite pas un instant à débiner son petit truc. Pour son compte, il traite les verrues par des applications de veau froid !
Il a même obtenu, et il l’avoue avec une ingénuité qui désarme ce résultat peu banal d’avoir ainsi guéri deux verrues, pendant qu’une troisième soumise au même traitement, augmentait de volume. Cette dernière aurait peut-être préféré que le veau fût à l’oseille.
Si amusant, ou si attristant devrai-je plutôt dire, que soient ces choses, je ne veux pas abuser. Cependant je ne puis résister au désir de signaler un dernier trait. Un autre docteur, un spécialiste (combien spécial) déclare que l’hypnotisme agit très efficacement sur les mamelles des vaches !
Cette fois je tire définitivement l’échelle, car je sens que je vais devenir aussi fou que le sont tous ces gens-là. Si c’est ainsi que cela se passe dans les sociétés savantes, je me demande ce que l’on peut bien dire dans celles qui ne le sont pas.
Je sais bien que le seul rapport qu’il y a entre ces choses et les différentes branches de notre art, est tout entier dans l’emploi des mots hypnotisme et suggestion. Si à côté que ce soit de nos habituels et professionnels bavardages, cela m’a paru suffisamment fantastique pour que je me sois cru autorisé a en parler ici.
Et maintenant, chers confrères, je crois pouvoir vous renouveler le conseil que je vous donnais dernièrement. Vous pouvez désormais et plus que jamais hypnotiser, suggestionner et transmissionner. D’autant mieux que, ainsi que je vous le dis plus haut, vous allez bientôt être mis à même de posséder un manuel très sérieusement documenté à cet égard. J’ai eu la bonne fortune de lire la copie et puis vous assurer que vous trouverez là les meilleures, les plus inédites et les plus complètes indications.
Je ne dis pas que vous y trouverez un nouveau procédé pour guérir les verrues, mais je pense que vos ambitions ne s’orientent pas vers ce point spécial. Si vous tenez absolument à vous occuper de ces balivernes, il faudra vous adresser à quelque société savante.
Mais nous autres, amuseurs de foules et maquilleurs de trucs, nous ne nous occupons que de choses sérieuses.
E. RAYNALY.
(1) Il s’agit du livre Les Révélations d’un magnétiseur de E. Chautard (1904).
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