Je vais, en vérité, faire saigner bien des cœurs, particulièrement celui de notre sémillant et quasi national camarade F… (1) qui, ainsi que chacun sait, professe pour la prestidigitation un de ces cultes dont aucune expression ne peut donner la mesure, même approximative.
Il ne s’en cache du reste pas. Son culte n’est pas occulte. Il ne manque pas une occasion de le manifester au moyen de grandiloquentes et amphigouriques formules dans lesquelles la métaphore, l’allégorie, l’emphase, le lyrisme, le symbolisme et même le maboulisme, jouent un rôle dont la prépondérance n’est plus un secret pour personne.
Pour en donner une idée aux lecteurs que l’éloignement prive de ces séraphiques auditions (bien connues ici) je me borne à exposer, comme indication, que notre dit camarade ne peut supporter aucune vulgarité dans les termes destinés à dénommer tout ce qui, de près ou de loin, touche à la prestidigitation.
Selon lui, il est, non seulement incorrect, mais encore outrageant de dire — un truc — On doit dire : un secret, une énigme, un mystère, un enchantement !
La baguette magique est le talisman, le gobelet un calice enchanté, etc., etc. Le mot escamoteur le fait défaillir et, d’après son vocabulaire spécial, le boniment est une éloquente dissertation. Le prestidigitateur n’est rien moins que : une Divinité, une Lumière céleste ou une Puissance infinie. Quant à la prestidigitation elle-même, elle est tout simplement la Reine des Arts ou, moins simplement, la suprême expression du génie humain poussé à son extrême limite ! (Excusez un peu) Tout cela est ici d’un langage courant, que nous sommes comblés d’entendre. Je ne donne cette esquisse qu’à titre d’indication pour la mettre mieux en opposition et intensifier en quelque sorte le côté farouchement antithétique de ce qui va suivre.
C’est là où la sensibilité extatique de notre dit camarade va se trouver mise à une rude épreuve. Je me demande même si je ne vais pas pousser la cruauté à de trop extrêmes limites; si je ne vais pas me faire traîner aux gémonies par quantités de fervents prosélytes pour lesquels le sentiment du respect, ainsi que le goût de la noblesse et de l’élévation des termes, sans atteindre le degré manifesté par notre éloquent copain; pardon condisciple, est cependant accessible encore au charme d’expression élégamment choisies et pudiquement réservées.
Quelle que soit cependant la honte qui va couvrir d’une coupable et, à la fois, contrite rougeur mon front pénitent; quelle que soit aussi la crainte que j’éprouve de voir notre élégiaque ami se tordre dans les affres d’une angoissante indignation, je vais, malgré tout, lui énumérer quelques expressions beaucoup moins dithyrambiques que celles dont il fait une si généreux et, disons-le, si amusant usage.
Les savants sont vraiment impitoyables. Déjà notre ami était positivement révolté de ce que certains auteurs de dictionnaires avaient, avec beaucoup trop de légèreté, à son gré, ajouté au mot Prestidigitateur des qualifications qu’il estimait peu encourageantes, telles que : escamoteur, bateleur, charlatan, marchand d’orviétan et même histrion ! Oh !… Pro pudor !
Qu’il se voile donc sérieusement la face aujourd’hui. Qu’il prenne connaissance de la nomenclature suivante, à laquelle l’horreur se mène au profond mépris des plus élémentaires convenances. On y tombe du Charybde de l’indignation dans le Scylla de l’épouvante. On y voit des Pélions d’assimilations malsaines s’entasser sur des Ossas de sanglantes et calamiteuses comparaisons.
C’est le coeur ulcéré, la main frémissante (c’est même bien gênant pour écrire) et une sueur froide ruisselant de mon crâne désormais peu garni, que je trace ces lignes irritantes autant que douloureuses.
C’est avec un vif sentiment de contrition que je vous oblige — sans toutefois vous y forcer — à boire jusqu’à la lie ce calice, qui, lui, n’est pas enchanté, ni même enchanteur
Les savants, comme je le dis plus haut, ne respectent rien. Il s’en est trouvé un qui, sous le fallacieux prétexte de venir en aide à la faiblesse de notre habileté mentale, a confectionné un dictionnaire qu’il intitule froidement Idéologique. Dans cet ouvrage, qu’il ne faut pas confondre avec le dictionnaire des synonymes, il a réuni un nombre considérable de mots, qu’avec une patience, et un art, en réalité digne d’éloges. Il a méthodiquement classés par analogies, similitudes, rapports ou connexités et, en un mot, pour justifier son titre, selon le genre et l’ordre des « idées » évoquées par l’un de ces mots.
Eh bien, en ce qui nous concerne, je puis dire qu’au sujet de la quantité nous sommes copieusement servis. Je ne puis, hélas ! en dire autant de la qualité.
Et, en effet, si je veux me rendre compte des « idées évoquées », par exemple par le mot Magicien que je prends ici comme type symbolique et dénomination globale, je trouve les suivantes et délicieuses appellations, terminologies, similitudes et comparaisons évoquées par ce vocable, que nous sommes plutôt habitués à vénérer.
Maintenant, calez-vous bien. Lisez et frémissez.
Expressions à employer comme se rattachant « idéologiquement » au mot : Magicien. Termes pouvant remplacer ce mot, etc., etc. Dictionnaire idéologique de C. Robertson, page 169, numéro 548.
« Magicien : trompeur, dupeur, tricheur, menteur, hypocrite, serpent, pharisien, jésuite, Janus, tartufe, papelard, bourdeur, chattemitte, conteur, craqueur, dissimulateur, enjôleur, falsificateur, faussaire, forgeur, fraudeur, frelateur, hâbleur, lanternier, sainte-nitouche, truqueur, maquilleur, imposteur, fourbe, coquin, contrefacteur, jongleur, filou, escroc, escroqueur, bohème, bohémien, égyptien, affronteur, abuseur, aigrefin, pipeur, attrappeur, aventurier, chevalier d’industrie, soi-disant, fripon, friponneau, goureur, grimacier, diable, drôle, vagabond, mécréant, pied-poudreux.
Charlatan, empirique, bateleur, saltimbanque, enchanteur, psylle, compère, escamoteur, fine bête, maître gonin, faux bonhomme, attrape nigauds, vendeur de fumée, joueur de gobelets, roustisseur de gonzes, marchand d’orviétan, comédien, baladin, histrion. » (2)
Ouf ! N’en jetez plus, la page est pleine. Ne trouvez-vous pas que c’est pousser un peu loin l’abus de cet emploi du sens métaphorique des mots ! L’auteur nous couvre de fleurs… de rhétorique et nous en offre ici un bouquet copieux mais nauséabond. Ce n’est pas avec cela qu’il se conciliera les bonnes grâces de notre camarade qui, si il abuse quelquefois, s’exerce au moins dans le genre sublime. Il va même jusqu’à nous affirmer, et je le lui ai entendu dire mille fois, que : « c’est la chaleur qui se dégage du cerveau d’un prestidigitateur, qui a formé le Soleil ». Si flatteuse que soit cette assertion, je la suppose exagérée. En tous cas, je déclare n’être pour rien dans cette peu banale formation. On peut m’en croire sur parole. Il s’agirait de la lune que ce serait la même chose.
A vrai dire, je préfère m’entendre qualifier de Lumière céleste que d’être traité d’histrion. Je sais bien, qu’au fond, ce sont des mots qui ne modifient en rien ma personnalité morale ou physique. Mais enfin, on a son petit amour propre et une appellation flatteuse est toujours plus agréable à l’oreille.
Aussi, pour panser, dans la mesure du possible, la blessure faite à nos âmes indignées par l’odieuse profanation de l’auteur du dictionnaire idéologique, je propose à notre emphatique ami d’enrichir son répertoire — Non — Son index glorificateur, de quelques nouvelles épithètes ou locutions sonores et vengeresses. Il en pourrait faire une nouvelle et toujours heureuse application aux collègues — pardon — aux initiés. Cela ne pourra que faire plaisir aux membres… je veux dire aux adeptes de la corporation… oh ! pardon encore… de la Docte phalange. Je finis par m’embrouiller moi, dans tout ça.
Enfin voilà, au lieu, par exemple, de bateleur ou saltimbanque, il sera toujours plus séant d’employer quelques périphrases dans le genre de celles qui suivent, qui restent, remarquez-le, dans les limites d’une honnête et bien apparente modestie.
Divinité, Lumière céleste ou Puissance infinie sont évidemment des expressions très adéquates et d’une haute envolée déterminative, mais un long usage en a peut-être émoussé légèrement la symbolique et glorieuse acuité.
Un peu de variété ne pourrait nuire. C’est, d’ailleurs, à simple titre d’indication que je soumets les suivantes formules, telles que, par exemple, Adepte éminent ou Sublimité transcendante — Thaumaturge — Omniscient — Séraphin mystique — Archange enchanteur — Phénix immortel — Génie fascinateur — Demi-dieu, ou, tout simplement — Déité omnipotente.
Je crois, sans parti pris, que cela vaudra toujours aussi bien que de s’entendre appeler : Baladin, Roustisseur, ou Maquilleur de trucs.
Il y a, entre ces expressions et les précédentes, une nuance délicate que ne manqueront pas de sentir et d’apprécier les gens de bon goût.
Bateleur ! Empirique !! Histrion !!! O, profanation des profanations. Et vous ! Mânes sacrés de nos illustres prédécesseurs, ne tressaillez-vous pas au fond de vos tombeaux, dans les plis glacés de votre froid linceul ? Mais non ! car, au fond du néant dans lequel vous êtes si glorieusement entrés, vous êtes, ô bienfaits des dieux, désormais insensibles aux outrages que déverse sur vous un plumitif égaré et bien certainement atteint d’on ne sait quelle démente et déplorable magicophobie.
C’est donc à nous, qui sommes encore là, qu’incombe le droit et le devoir de vouer ce vampire abhorré à l’exécration des races futures, et de lancer sur lui, d’une main toujours frémissante, le plus sanglant et le plus vengeur des anathèmes.
Et toi ! Sublime, Sainte, Omnipotente et Hiératique magie ! Toi dont l’hermine jusqu’alors immaculée porte désormais le honteux stigmate d’une imméritée pollution. De quel voile purificateur ne vas-tu pas couvrir ta face divine, si odieusement outragée par ces dénominations impies et sacrilèges; par ce vocabulaire infamant, dont la plus simple expression blesse si profondément la délicatesse bien connue de nos sentiments intimes, ainsi que la pudicité de nos, jusqu’alors, inviolées et naïves oreilles ! — N’est-ce pas, ou jamais, le cas de s’écrier avec Virgile : « Horesco referens…. ? O! Dea Magiae, ora pro nobis ! »
Mais je ne veux pas davantage retourner dans la plaie le fer de la cruauté ; ne l’ai-je pas trop tourné déjà ? N’est-il pas opportun de modérer un élan dont la violence ne peut puiser d’excuse que dans le fond même de sa stupeur et de sa virulente indignation.
Et, d’ailleurs puisque je suis éventuellement exposé à être qualifié de demi-dieu, je crois plus séant de ne pas persister à me conduire comme un mauvais diable tout entier.
Aussi ne saurais-je mieux terminer qu’en adressant au Suprême et Divin Aréopage, l’expression émue et admirative de mes sentiments idolâtres et glorificateurs. Sentiments respectueux et profondément invétérés qui s’adressant également à la Docte et Sublime Phalange, dont chaque atome est une radieuse étoile qui brille d’un vif éclat au sommet lumineux de notre firmament éthéré.
Sans oublier aussi mes sentiments de haute admiration, ainsi que mes hommages effervescents et respectueux que je dépose avec la plus mystique vénération aux pieds sacrés de la superbe, intangible et impondérable Magie.
Mais hélas! Mes forces me trahissent. Il me faut, malgré moi, mettre un terme à ces touchantes expansions. Cela vaudra, du reste, peut-être mieux, car, à force de dire tant de belles choses, je vais certainement finir par dire des bêtises.
E. RAYNALY.
(1) Toujours le fameux Folletto (Joseph Ferraris). (2) J’ai un faible pour Goureur et Roustisseur de gonzes. Et vous ?
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