Les effets de neige japonaise n’ont jamais eu autant la côte. Vous en trouverez une excellente description dans le livre «Oriental Conjuring and Magic» de Will Ayling, publié en 1981 par The Supreme Magic Company of Bideford. (page 234 – Snowstorm in Japan).
II y a des jours où on éprouve sérieusement le besoin de s’amuser. Me trouvant dernièrement dans cette heureuse disposition d’esprit, je résolus un beau soir de faire ce qu’on appelle abréviativement aujourd’hui, une bombe ; parce que on est toujours si pressé, que ce serait trop long de dire : une bombance. Je tenais à présenter cette observation qui touche à la morale par plus d’un côté, surtout le mauvais.
J’eus bientôt trouvé un ami qui consentît, avec empressement, à me suivre dans cette voie, plutôt légère. Bref, après un repas, dont je vous passe le menu (qui ne Tétait pas) nous allumâmes un de ces cigares comme on n’en fume pas, même dans les sphères les plus élevées, telles que l’Olympe, le Paradis ou Montmartre.
Il y avait naturellement une soirée à passer. Nous ne balançâmes pas et notre fameux cigare au bec, nous ne tardâmes pas à pénétrer dans un de CBS endroits si connus a Paris, sous le nom générique de Music-halls.
La Providence veillait évidemment sur nous, car, à peine assis dans un de ces fauteuils que Voltaire lui-même n’eût pas désavoué, le programme me révéla que j’allais voir des Prestidigitateurs. Que dis-je, des sorciers, des enchanteurs. Que redis-je, des demi-dieux, ainsi que je l’avais lu tout récemment dans un journal. Or, du moment que c’était dans un journal, n’est-ce pas ! il n’y avait pas à douter, car on sait avec quelle exactitude, quelle souci de la vérité et surtout quel désintéressement les journaux insèrent ces appels au public. On appelle cela, je crois, des réclames, probablement parce que cela peut, quelquefois, donner lieu à des réclamations.
Mais, arrivons au fait, car je veux, chers lecteurs éloignés, qui n’avez pu contempler ces divinités, vous faire partager la joie que j’ai éprouvée à les voir. Je vais, dans ce but, vous raconter par le menu (surtout) les prodigieux exercices auxquels ils se sont livrés devant moi sans paraître le moins du monde intimidés par ma présence. La séance a été ouverte par une jeune Japonaise.
A propos, vous ai-je dit qu’ils étaient Japonais ? Non Eh bien, s’ils l’étaient il est même probable qu’ils le sont encore. Gomme premier tour, la jeune prestidigitatrice a compté quelques pièces de monnaie qu’elle a enfermées dans un foulard et qu’elle a fait tenir par son frère. Je suppose que c’est son frère, car ils portent tous le même nom. Respectons la famille. Après, elle a pris une baguette et a fait sortir, invisiblement, quelques pièces du foulard. Ensuite elle a compté les pièces restantes dans le foulard. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais il en manquait juste autant qu’elle en avait retiré. Ça c’est fort, et je me demande encore comment elle a pu obtenir un résultat pareil.
Ensuite, elle a transformé devant nous, une feuille de papier en rubans de même matière, ce qui prouve bien que c’était la même feuille.
Puis, ayant mouillé ces rubans, elle a pris un éventail, et avec une grâce que je n’aurai jamais, elle a fait changer ces petits papiers mouillés en une foule de petits papiers secs, qui, en retombant, l’auréolait d’un semis de neige aérienne du plus agréable effet. Ah! que j’aimerais donc faire un tour semblable. Malheureusement, je ne suis pas japonais et ne le serai probablement jamais.
J’ai oublié de vous dire, qu’après le tour des pièces, elle avait consenti à descendre parmi les spectateurs, et là avec une baguette, elle prenait sur les personnes, des vraies pièces de cinq francs qui apparaissaient spontanément à l’extrémité de l’instrument et en disparaissaient avec la même facilité. Tantôt vous la voyiez, tantôt vous ne la voyiez pas. Quelle diablerie peut-il -bien encore y avoir là-dessous.
Et puis, vous savez, la baguette n’est nullement préparée. Ah ! Ils la connaissent au Japon.
Maintenant on m’a dit — ce sont sans doute de mauvaises langues — que je pourrais en faire autant quand je voudrais avec cette baguette, que l’on trouve couramment chez certains commerçants spéciaux de Paris. Pourquoi m’avoir enlevé cette illusion?
Enfin, la charmante opératrice ayant jugé qu’elle avait suffisamment sacrifié aux dieux de la magie, fit un gracieux salut et fut récompensée de ses peines par les applaudissements de quelques messieurs très bien, qui par un singulier hasard, se trouvaient tous ensemble dans une certaine partie de la galerie. Je ne sais pas pourquoi tous les autres spectateurs n’ont pas fait comme eux, mais ce n’est pas mon affaire.
Ce commencement de spectacle avait ravivé mes plus juvéniles souvenirs. Je me revoyais encore tout enfant, lorsque ayant été bien sage on me conduisait à Robert-Houdin. Je me croyais si jeune que j’ai été sur le point de demander un sucre d’orge à l’ouvreuse. Mais il n’y avait là que des messieurs en tablier blanc. Alors nous avons fait venir des bocks, naturellement, et nous les avons savourés en même temps que la suite de la solennité
magico-japonaise.
Ce fut alors, le tour du père de cette étrange famille. Il se fit attacher les pouces à l’aide d’une corde spéciale garnie intérieurement d’un fil de fer, en apparence pour augmenter la solidité, en réalité pour contrarier le serrage et conserver à la boucle la rigidité de l’ouverture.
Ainsi ligoté, il se faisait lancer des cerceaux entre ses bras et les en sortaient sans que ses mains semblassent bouger. Il passait ensuite ces mêmes mains (il n’avait que celles-là) dans les bras des messieurs qui cherchaient à empêcher cette introduction à l’aide d’un croisement de leurs mains. De leurs mains à eux, bien entendu.
Par une manœuvre habile, que je demande la permission de ne pas dévoiler ici, nous avons eu l’astuce de nous procurer un morceau de cette corde. Elle est vraiment incassable et en effet, l’opérateur ne casse rien. C’est évidemment dans cette corde qu’il faut voir la ficelle.
Cette fois, ce tour des pouces liés ne m’a pas rappelé mon enfance, mais simplement ma jeunesse (comme c’est loin tout ça), alors que j’exécutais couramment cette expérience à l’époque de mes lointains débuts. A quelque variante près cependant, car je n’employais pour Gela qu’un vulgaire ruban de fil. J’ai salué avec respect cette vieille connaissance qui me rappelait de si joyeux souvenirs.
Quand je pense que j’ai appris ce tour-là dans un bouquin du XVIIIème siècle, je trouve qu’il a mis du temps pour aller au Japon et en revenir.
Nous arrivons enfin à la fameuse expérience hydraulico-pyrique au cours de laquelle ces excellents Japonais sont censés jouer avec l’eau et avec le feu. Pour cette opération, le père japonais et ses deux demoiselles prennent place, au fond de la scène, sur une estrade derrière laquelle descend une longue tenture noire sur le côté esthétique de laquelle je n’insiste pas. De là, et tranquillement assis tous les trois, nos joyeux Japonais font jaillir de différents objets, des jets d’eau qui, par leurs dimensions, me rappellent même pas le Manneken-Pis de Bruxelles. Il y a comme cela divers bibelots qui font ainsi leur pipi devant tout le monde, avec des intermittences qu’on ne s’explique pas, mais que j’attribue, témérairement peut-être, à quelque hydraulicien qui, par modestie sans doute, se cache derrière la grande draperie noire, laquelle n’à guère d’autre excuse de se trouver là.
J’avoue n’avoir pas très bien saisi l’étrangeté et l’intérêt de ce spectacle.
On a mis ensuite quatre torches dans les quatre mains des deux jeunes filles. L’une d’elle a prosaïquement allumé sa torche à une vulgaire bougie qui se trouvait là par hasard, puis elles se sont bornées à tenir tranquillement ces quatre torches dans leurs quatre petites mains. C’est ce que les réclames appellent : « Jouer avec le feu ». Mais ces demoiselles doivent connaître notre vieux proverbe qui dit précisément : « II ne faut pas jouer avec le feu » et, elles suivent exactement ce prudent conseil. On m’a bien dit, que de ces torches il sortait des petits (oh combien) jets d’eau, mais j’avoue n’y avoir vu que du feu.
De sorte que, pour moi surtout, ça ne rappelait que très vaguement les fontaines lumineuses.
Et puis voilà, là-dessus, les messieurs très bien de la galerie ont envoyé une salve d’applaudissements beaucoup plus nourrie que les précédentes, sans doute pour prouver leur satisfaction de voir que c’était fini. Reconnaissons que de brillants costumes et une musique appropriée font une très agréable sauce à ce léger poisson.
A Londres, où nos Japonais vont aller en partant d’ici, il y a en ce moment un numéro de valeur analogue, présenté par un Chinois, qui du reste, est Américain. Il ne fait pas florès. Je suis curieux de savoir comment nos Japonais seront reçus là-bas. Je le saurai certainement et, si cela en vaut la peine, j’en toucherai deux mots.
Eh ! bien, si nous allions, vous ou moi, faire des tours de cet acabit, on n’aurait pas assez de pommes cuites pour nous reconduire.
Pour se permettre cela, il faut être Chinois ou Japonais. Plus on vient de loin, plus on est épatant. J’ai envie de monter un numéro de ce genre et de le présenter costumé en Groenlandais — ça ne s’est pas encore fait — avec un costume de fourrure, un servant habillé en ours, et comme décors des rochers de glace.
Oui mais voilà, ça jetterait peut-être eu froid. Quel malheur tout de même de ne pas être Japonais.
Triste ! Triste !
E. RAYNALY