Texte et manipulation : Yvan Corbineau. Mise en scène : Elsa Hourcade. Costumes : Sara Bartesaghi Gallo, Véra Grassano. Jeu : Judith Morisseau. Dessin et vidéo : Zoé Chantre. Lumière et conception technique : Thibault Moutin. Composition musicale et diffusion sonore : Jean-François Oliver. Photos : Thierry Caron. Graphisme : Sabrina Morisson. Création : novembre 2023.
C’est une création du collectif le 7 au soir et troisième volet du récit d’Yvan Corbineau, La Foutue bande, de loin de la Palestine, qu’il a écrit lors de nombreux séjours en Cisjordanie. Cette « matière-texte » a donné lieu au Bulldozer et l’Olivier (2017), et à La foutue Bande (2020), à la Scène nationale Culture Commune.
Depuis, cette « foutue » Bande de Gaza est dramatiquement foutue ! Comment en parler aujourd’hui ? L’auteur quitte ici les rives du réalisme pour nous entraîner dans l’espace métaphorique d’un territoire mouvant, énigmatique où va se perdre un marcheur solitaire. La carte qu’il a en mains se dérobe à la lecture, faute de légendes et il se heurte à un mur sans issue, réduit à tourner en rond.
« C’est l’histoire, dit Judith Morisseau, d’un chemin impossible pour les habitants d’un pays morcelé, ou celle d’un auteur égaré. » Comme Alice au pays des merveilles, la comédienne s’engouffre dans un labyrinthe semé d’embûches, représenté par les dessins qui s’inscrivent sur le tulle transparent de l’avant-scène. De petits objets, animés en direct par la graphiste installée à jardin, s’affichent aussi sur l’écran. La comédienne doit jouer dans les plis et replis d’un immense drap blanc – le désert ? – manipulé à vue par Yvan Corbineau pour créer sans relâche des creux et des bosses, un ciel nuageux, et parfois engloutir la narratrice. Le marcheur anonyme, à la recherche d’une improbable sortie, nous emmène dans un rêve éveillé fantasmagorique où se confondent dans le texte et graphiquement, une multitude de points de vue, contrôle, départ, fuite, mais aussi de points d’orgue, de suspension… Sa carte devient illisible et il doit s’en remettre au hasard à coups de dé, ou consulter le Livre des légendes qui tombe des cintres mais dont les tiroirs ne livreront pas leurs secrets. D’étape en étape, d’épreuve en épreuve, il revient sans cesse à son point de départ : un rocher au pied d’un mur sans brèche. Au gré de ce parcours onirique, Judith Morisseau reste à juste distance de son personnage et navigue avec grâce dans la danse infernale du décor et le paysage sonore crée et diffusé par Jean-François Oliver, parmi les dessins et projections d’objets ludiques imaginés par la scénographe Zoé Chantre, sous les lumières de Thibault Moutin. Une minutieuse coordination orchestrée par Elsa Hourcade.
Le collectif 7 au soir a entamé un long compagnonnage avec Culture Commune. Et le spectacle a eu lieu à l’Espace culturel Jean Ferrat à Avion, partenaire de cette Scène nationale multipolaire qui, de la Fabrique théâtrale de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), rayonne dans l’ancien bassin minier de l’Artois. Ce soir, les habitants d’Avion sont venus nombreux. Ils connaissent le travail de la compagnie, pour avoir élaboré pendant un an avec elle, un spectacle collectif en marge de la création de Cartographie imaginaire. Des ateliers d’écriture et de jeu ont abouti à Chemins de traverse, joué par les habitants du quartier de la République avec pour thème, les parcours et itinéraires bouleversés à cause d’un environnement urbain en mutation.
Cartographie imaginaire a vraiment sa place dans cette municipalité communiste jumelée avec le camp de réfugiés palestiniens de Bourj El Barajneh au Liban et la ville de Qustra en Jordanie. Et cette fiction à la tonalité beckettienne nous renvoie avec élégance et pudeur à une situation sans issue. La poésie et la fantaisie constituent ici une échappatoire possible. « Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance. Nous nous tenons tous par la main. Et nous avançons solitaires dans le désert du monde. Peu nous importe désormais que quiconque nous aime. » C’est un extrait d’un poème écrit le 25 octobre dernier par l’auteur palestinien Samer Abu Hawwash, « dans un moment de douleur et devant le constat que le monde entier a abandonné Gaza ».
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Kalimba. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.