Conception et mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier. Textes : Agnès Desarthe, Leslie Kaplan, Federico Garcia Lorca, Florence Seyvos, Yoann Thommerel, Tanguy Viel et Steven Wallace. Scénographie et peintures : Catherine Rankl. Musique : Etienne Bonhomme. Costumes : Pierre Canitrot. Perruques et masques : Cécile Kretschmar. Marionnettes Kiké : Gómez Bastias. Chorégraphie : Jim Couturier.
Les metteurs en scène avaient obtenu avec M comme Méliès le Molière de la meilleure création Jeune Public il y a deux ans. Ils réitèrent avec ce Buster Keaton où ils veulent nous faire découvrir l’univers de cet autre immense artiste du cinéma muet d’il y a un siècle. Il fut à la fois acteur et aussi scénariste pour ses nombreux courts, moyens et longs-métrages et pour ceux d’autres réalisateurs comme Samuel Beckett. Merveilleux athlète-acrobate virtuose, d’abord rompu encore très jeune enfant à la scène de cabaret par des parents qui se servaient de lui pour des cascades. « J’ai appris à tomber quand j’étais petit. J’ai aussi appris quelques trucs acrobatiques comme le saut périlleux arrière et d’autres trucs simples (…) Ce que je sais, c’est contrôler mes muscles. Quand vous vous trouvez en train de voler dans les airs, votre tête est votre gouvernail, c’est elle qui indique la direction que vous allez prendre. »
Ce merveilleux clown triste et burlesque à la fois, en costume trois-pièces gris, aux chaussures vernies et canotier vissé sur la tête ne sourit jamais. Maladroit souvent empêtré dans le temps et l’espace d’une machinerie industrielle contemporain, il a un rapport difficile avec les objets et le plus grand mal à maîtriser un environnement hostile, que ce soit celui de la nature ou celui de la mécanique industrielle imaginée par ses contemporains. Mais impassible et toujours solitaire, il arrive pourtant à faire face à des situations absurdes et/ou des catastrophes. Malgré une succession d’échecs, il réussit à s’adapter tant bien que mal à un monde violent qui le rejette. Grâce à son imagination, à sa persévérance et à un corps d’une résistance exceptionnelle. Un fondamental chez Buster Keaton comme chez la plupart des autres comiques : la course-poursuite où il se révèle magistral.
La réalisation sur une scène de théâtre d’un film muet avait aussi été le thème de M comme Méliès et des Naufragés du Fol-Espoir, mise en scène d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil (2010) et de nombreux spectacles où on montre le déplacement de la caméra et la réalisation d’effets et de gags. Spectacle ou pseudo-tournage d’un film ? Les deux, mon capitaine avec le plaisir de voir le travail de dizaines de collaborateurs sur un plateau et la naissance d’une vraie scène de film…
Ici, de nombreux éléments de décor comme une petite scène dans le fond (ce qui devient rare par les temps de pénurie) ou des façades de gratte-ciels de New York remarquablement dessinés et peints par Catherine Rankl. Et un travail d’interprétation au cordeau par Louis Benmokhtar, Pierre Bidard, Samy Caffonnette, Michèle Colson et May Hilaire, issus du Jeune Théâtre National. Mais aussi une direction d’acteurs scrupuleuse, des perruques et masques signés Cécile Kretschmar. Bref, il y a tout pour que ce soit dans l’axe mais ce travail honnête et soigné avec parfois de belles images est un peu sec et ne fonctionne pas bien. D’abord à cause d’une dramaturgie approximative et d’un manque de rythme évident : on a du mal à comprendre ce qu’ont voulu nous raconter Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier. Réaliser une mise en abyme d’une scène comique de film muet sur un plateau de théâtre est assez casse-gueule, alors que nous avons tous en mémoire de magnifiques moments de théâtre… au cinéma. Les concepteurs de ce Buster Keaton ont-ils voulu rendre un hommage au grand acteur et réalisateur avec de courtes scènes de tournage d’un film, avec aussi de temps à autre, des projections de films de Fatty Arbuckle, Buster Keaton, Bob Fosse, Friedrich Murnau, Sergueï Eisenstein, Jean Epstein… Fritz Lang ?
Il y a ainsi le wagon de tête avec les acteurs debout de métro aérien sur la scène, alors que défile sur l’écran, une vue panoramique prise dans la cabine du conducteur d’un métro filant entre les buildings dans New York (dont parle avec terreur Charles Bukowski quand il avait été embauché sans protection pour réparer des traverses à quelque quinze mètres de hauteur…) Cela pourrait être réussi, si on avait monté cette tête de wagon sur un pivot pour donner l’illusion qu’il suive les sinuosités des rails.
Et les meilleurs moments sont paradoxalement ces extraits de films mythiques projetés où on voit notamment ce grand comique résistant à une violente tempête ou en équilibre sur une échelle posée aussi elle-même en équilibre sur un mur. Comme cette très belle scène finale où les jeunes acteurs, tous costumés en Buster Keaton, réussissent à être tous les cinq debout sur une planche. Mais c’est bien tout, et à l’impossible, nul n’est tenu… Réalisé avec des moyens corrects mais fondé sur un pari impossible, ce spectacle honnête mais sans véritable unité nous a paru bien longuet et pas vraiment drôle. Même s’il était joué devant une centaine de spectateurs (dont des enfants) soit un public limité avec distances sociales mais un vrai public… Un plaisir rarissime en ces temps de pandémie !
Compte-rendu de la présentation professionnelle. Source : Théâtre du Blog.
Crédit photos : Pascal Gely. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.