Peter Pan de James Matthew Barrie, texte allemand d’Eich Kästner, musique et chants de CocoRosie, mise en scène de Bob Wilson.
The Old Woman avait été un émerveillement, et on avait l’impression que Bob Wilson avait signé là une de ses meilleures créations. Peter Pan est une fantaisie d’un tout autre genre, avec quelque vingt-cinq interprètes. La base est un conte écrit par l’écrivain écossais James Matthew Barrie (1860-1937), dans un chapitre de son roman Le Petit Oiseau Blanc, puis dans une pièce (1904) : Peter Pan l’Enfant qui ne voulait pas grandir (Barrie cessa de grandir à dix-sept ans et il mesurait 1,50 m).
L’œuvre de Barrie fut ensuite adaptée au théâtre, au cinéma et en bande dessinée. C’est l’histoire d’un petit garçon capable de voler pour aller dans un pays imaginaire avec Wendy Darling et ses frères Jean et Michel. Monsieur et Madame Darling sont absents et c’est la chienne Nana, qui sert de nurse à Wendy, Jean et Michael. Venu récupérer son ombre, Peter se trouve face à Wendy qu’il persuade de le suivre jusqu’au pays imaginaire. La fée Clochette est jalouse de Wendy qui doit veiller sur les garçons perdus, dont elle devient la mère. Ils vivront d’extraordinaires aventures avec des Peaux-Rouges, Lily La Tigresse des Pirates et leur chef, le capitaine Crochet qui n’a jamais pardonné à Peter de lui avoir coupé la main avant de la jeter en pâture au Crocodile, qui le poursuit depuis sans trêve… Crochet enlève Lily La Tigresse, pour capturer Peter, dont il pense qu’il viendra la sauver. Peter Pan se rend à la Lagune aux Sirènes avec Wendy. Lily La Tigresse arrivera à retourner chez les Indiens. Jalouse, Clochette révèle la cachette de Peter Pan, où Crochet le trouve endormi, et décide de l’empoisonner avec la potion que Wendy avait donné à Peter. Mais les Enfants perdus, Wendy et ses frères sont capturés. Quand Peter se réveille, Clochette, prise de remords, veut le prévenir que la potion est empoisonnée.
Fâché, Peter Pan ne la croit pas et Clochette boit la potion. Pour la sauver, Peter fait appel à tous les enfants qui croient aux fées et Clochette revient à elle. Il retourne se battre contre Crochet vaincu, qui disparaît dans la gueule du crocodile. Peter devient capitaine du Jolly Roger et ramènera Wendy, John et Michael et les Enfants perdus à Londres. Les parents les retrouvent et adoptent tous les Enfants perdus. Peter Pan rentrera au Pays imaginaire en jurant à Wendy qu’il ne l’oubliera pas, et qu’il reviendra tous les ans pour l’y ramener. Plus tard, il retrouvera Wendy grandie et maman.
On voit bien tout ce qui a pu séduire Bob Wilson dans cette histoire compliquée, où la mort est constamment au rendez-vous et où Peter Pan refuse de grandir. Avec des personnages féminins comme Wendy, la fée Clochette, les Sirènes qui le fascinent et où Wendy, Jean et Michael entrent dans un monde où ils retrouvent les personnages qui ont germé dans la tête de Wendy. Un autre thème récurrent dans le roman de Barrie est la crainte de l’autre, la solitude, et Peter Pan – il a perdu la notion du temps – est le double, pour le moment gentil, du méchant capitaine Crochet et s’il refuse de vieillir, c’est avant tout, pour ne pas, en quittant le monde merveilleux de l’enfance, ressembler à ces adultes cyniques et impitoyables. On est loin du monde aseptisé de la version de Walt Disney ! Comme si Bob Wilson, dont une part de lui-même continue encore à exister dans le Texas merveilleux de son enfance et qui, comme Peter Pan, n’a pas fini de régler ses comptes avec sa mère qui, à en voir les images d’un film, devait avoir une sacrée personnalité. Peter Pan qui semble n’avoir guère de passion « joyeux innocent et sans cœur », dit Barnee, et qui possède un ego surdimensionné. Wilson a eu visiblement un bonheur fou à être un peu comme lui, maître du jeu et à diriger sur un plateau, cette suite de personnages dans un pays empreint d’imaginaire, où les aventures se succèdent comme dans un rêve.
Même si on voit bien que ce conte fantastique est surtout pour l’immense créateur américain une sorte de tremplin où il peut, avec une virtuosité inégalée, et une sorte d’apparente légèreté, inventer un fabuleux livre d’images. C’est un véritable régal pour l’œil. Wilson se sert de tout l’appareil scénique qu’il a mis au point depuis une trentaine d’années. Parfois un peu trop frappés au coin de la virtuosité gratuite, ici ils servent remarquablement le conte de Barrie : écrans de couleur changeante en fond de scène, chœurs dansant en ombre chinoises, maquillages ultrasophistiqués avec des visages blancs aux lèvres rouge foncé et aux yeux très faits, avec des rides accentuées. Le tout dans un climat très peinture et cinéma muet expressionnistes, très cabaret allemand. Wendy est en robe blanche mais maquillée comme une sorcière, et la Fée Clochette a quelque chose de monstrueux et de méchant…
Mais il y a aussi comme en autocitation, des accessoires assez « naïfs » qui rappellent le mythique Regard du sourd (1970) comme ces chariots chargés de nuages qui conduisent les enfants au pays imaginaire et qui passent à plusieurs reprises dans un cadre de papier imprimé de petits bateaux. Du côté décor, accessoires et lumières, Bob Wilson sait toujours aussi bien faire. Et les costumes de Jacques Reynaud sont tout aussi impeccables. La musique des CocoRosie, groupe nord-américain formé il y a dix ans par les sœurs Bianca et Sierra Casady (qui joue aussi la fée Clochette), avec un étonnant cocktail de musique électronique, folk, chant lyriques, … est admirablement interprétée par The Dark Angels (alto, bois, claviers, trombone, banjo, flûtes, basse..) qui assurent aussi les bruitages. Et, bien entendu, il y a la troupe du Berliner où, dit Wilson, « les acteurs sont capables de jouer Shakespeare un soir et autre chose d’aussi fort le lendemain ». Avec une rigueur de tous les instants et à l’opposé de tout naturalisme qu’il a toujours détesté. C’est aussi surprenant que raffiné, aussi évident que discret, avec le plus souvent un humour et une distance héritée de Brecht.
Ses interprètes sont tous de premier ordre, en particulier Sabin Tambrea (Peter Pan), Stefan Kurt (le capitaine Crochet), que ce soit pour la gestuelle, la diction, les couplets chantés en solo ou en groupe, les ensembles dansés. Ce qui frappe aussi, c’est l’unité de ce spectacle et l’absolue perfection de cette grande machine, servie par toute une équipe technique. Et comme d’habitude, le sous-titrage conçu et réalisé par Michel Bataillon est impeccable. Seul bémol, le spectacle est un peu trop long et, après un entracte de vingt minutes bien nécessaire à ces acteurs/chanteurs, la seconde partie, toujours aussi remarquablement jouée et chantée, n’a pas tout à fait le même souffle… Mais ce Peter Pan est une œuvre de premier ordre. A soixante-douze ans, Bob Wilson vient de prouver qu’il est encore capable d’innover… Et c’était formidable de voir une petite fille absolument émerveillée, à côté de Michel Piccoli, tout aussi fasciné. Espérons simplement que ce Peter Pan puisse être repris l’an prochain ! Et en janvier 2014, le Théâtre de la Ville risque de connaître des scènes d’émeute, avec la reprise du célèbre Einstein on the beach qui va clore ce cycle Bob Wilson…
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