Spectacle librement inspiré de La Métamorphose de Franz Kafka. Adaptation : Claire Dancoisne et Francis Peduzzi. Mise en scène : Claire Dancoisne. Comédiens : Henri Botte, Lyly Chartiez-Mignauw, Gaëlle Fraysse, Léo Smith. Création musicale : Pierre Vasseur. Création sonore : Greg Bruchet. Création des masques et coiffures : Loïc Nebreda. Création lumières : Hervé Gary. Création des objets : Bertrand Boulanger, David Castagnet, Olivier Sion, Chicken, Patrick Smith. Création costume insecte : Anne Bothuon.
Dans cette adaptation de cette célèbre nouvelle devenue classique, de l’écrivain tchèque Gregor Samsa, un petit employé, vit avec ses parents et sa sœur. Quand un jour, il se réveille, il voit son corps se transformer en cafard. Et sa famille va très mal réagir mais le tolère. Mais Gregor ne peut plus travailler pour subvenir aux besoins de la famille et tous vont alors s’y mettre : le père, dans une banque, sa sœur comme vendeuse et sa mère fera de la couture. Une partie de l’appartement sera aussi louée à un locataire. Un soir Gregor sort de sa chambre, attiré par la musique que sa sœur joue au violon mais le locataire le voit et va s’en aller sans payer. La sœur propose qu’on tue cet insecte devenu encombrant : pas la peine : on retrouvera le corps desséché de Gregor. Enfermé dans sa chambre et désespéré, il ne mangeait plus.
Dans cette adaptation de Claire Dancoisne, avec son remarquable Théâtre de la Licorne, Gregor aurait en fait choisi de se métamorphoser et de passer du règne humain, à celui des insectes. Mais sa famille bourgeoise veut à tout prix sauver les apparences et réussir à concilier imprévu et fantastique avec la vie réelle… « Il me réjouit, dit Claire Dancoisne, à partir de cette nouvelle, de mettre en scène une blatte, juste pour le plaisir de voir jusqu’où̀ cet élément non prévisible, dans un monde lisse, convenu et consensuel, peut amener père, mère, sœur à devenir autre. Il m’amuse d’imaginer que cette petite famille soit la loupe d’une vie, à l’échelle d’un quartier où le mensonge du paraître, la pousse à basculer dans l’excès, pour mieux cacher l’ignoble transformation. »
Bref, ici il s’agira pour sa famille d’écarter Grégor de son environnement. Pour Vladimir Nabokov, « La famille Samsa autour de l’insecte fantastique, n’est rien d’autre que la médiocrité entourant le génie. » On peut voir aussi dans cette nouvelle, un rude combat entre nature et culture. Cet emblématique insecte, synonyme de misère et saleté, nous dégoûte et nous n’hésitons pas à le tuer, alors qu’il a autant le droit de vivre que nous. Pour un spécialiste suisse de l’environnement Philippe Roch, « Le sauvage nous aide à sortir du solipsisme humain et à nous connecter à l’infini de la Nature. Carl Gustav Jung a bien montré comment la rupture de nos liens ancestraux avec une nature animée, c’est-à-dire habitée par une dimension spirituelle, a produit de profonds désordres psychiques qui expliquent notre fuite dans la consommation et la compétition. »
Ici, pas vraiment de castelet sinon quelques châssis frontaux en noir comme le reste du plateau où les cinq acteurs et marionnettistes Henri Botte, Lyly Chartiez-Mignauw, Gaëlle Fraysse et Léo Smith masqués vont donner un sens avec une précision et une sensibilité assez rare à cette fable aussi noire que nécessaire. Avec aussi des insectes-marionnettes fantastiques… Un étrange et merveilleux paradoxe que ces personnages très proches des humains mais aux curieux visages : regardez bien les photos comme les masques et coiffures de Loïc Nebreda, d’une impossible vérité, sont pourtant convaincants.
Miracle du masque depuis l’antiquité… Et les mouvements saccadés des corps qui respirent la bêtise de cette famille font penser aux soldats de la guerre de 14, marchant comme des automates, le visage gris et amorphe dans Wielopole, Wielopole de l’immense Tadeusz Kantor. Un spectacle qui tenait en fait d’un exorcisme du premier conflit mondial où une grande partie de la famille de l’artiste avait disparu.
BasiK InseKte tient vraiment du grand art avec une direction d’acteurs et une unité de jeu exemplaires. Les acteurs sont accompagnés par une bande-son – créations musicale de Pierre Vasseur et sonore de Greg Bruchet – tout à fait remarquable. Le déchirement sec de la carapace de l’insecte maudit, alias Grégor fait frémir… Peu d’objets mais très bien conçus et toujours à disposition des acteurs. Ce tour de passe-passe tient du miracle mais au théâtre, il n’y en a jamais et quand cela fonctionne aussi bien qu’ici, il y a à coup sûr un sacré travail en amont de mise en scène et d’interprétation. Un spectacle comme on en voit rarement même s’il est d’une noirceur absolue devant un public jeune (eh oui cela arrive !) ébloui et qui a salué debout cette merveille de poésie, d’intelligence et de sensibilité : ce qui n’est pas incompatible. Et il y a un moment sublime quand les acteurs viennent saluer méconnaissables, avec, sur une planche, les sept masques et perruques utilisés…. A ne pas ratez.
A lire :
– Le Théâtre de la Licorne à Dunkerque.
– La Green Box.
Source : Le Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Christophe Loiseau. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.