Spectacle de fin d’études de la 29ème promotion du CNAC, en collaboration avec l’ENSATT et La Comète-Scène nationale. Mise en scène :Mathurin Bolze. Costumes : Gabrielle Marty. Lumière : Clément Soumy. Scénographie : Camille Davy et Anna Ponziera. Création sonore : Robert Benz.
Etablissement supérieur de formation, de ressources et de recherche, le Centre national des arts du cirque, créé en 1985 à l’initiative du ministère de la Culture, a formé plus trois cent artistes… de quelque trente-cinq nationalités ! Le Centre dispose de nouveaux locaux depuis 2015, complétant ceux du cirque historique.
Le spectacle collectif de fin d’études, avec des étudiants déjà ainsi placés en position d’interprètes et créateurs, est mis en scène chaque année par un professionnel reconnu, pour une série de représentations, à Châlons puis à Paris, et dans la région du Grand Est. Derrière cette création, la meilleure de celles que nous avons pu voir depuis quelques années, il y a bien entendu un enseignement de haute qualité depuis des années à Châlons et dans d’autres écoles auparavant. Cela va sans doute sans dire mais va encore mieux en le disant…
Mathurin Bolze qui a été élève au Centre National des Arts du Cirque a suivi entre autres l’enseignement de Catherine Germain, l’excellente clown et du chorégraphe François Verret pour la danse. Puis avec sa compagnie, il a créé Fenêtres et Barons perchés. Pas facile de parler en détail de cette mise en scène brillante, où les nombreux numéros s’enchaînent en douceur. Il y a d’abord comme une sorte de mise en bouche très réussie, avec une plate-forme oscillante où quelques-uns des jeunes circassiens debout en costume blanc vont jouer une scène muette avec des accessoires que leurs camarades restés au sol, leur font passer et qu’ils leur rendent ensuite. Belle image que cette jeune acrobate sur son petit vélo blanc qui réussit à claquer une porte d’un coup de roue, puis monte toujours en roulant sur la plate-forme de façon tout à fait “naturelle” et en redescend avec la complicité de ses camarades.
Ces trois plate-formes sont, bien entendu, élevées et descendues en totale coordination avec les numéros des circassiens, dont quelques-uns jouent aussi d’un instrument. Une des dernières images ; les plate-formes situées à des hauteurs différentes sont reliées entre elles par des échelles. Et cela fait penser à une installation très réussie d’art contemporain… qui ne dénoterait pas dans un musée. Une des caractéristiques de ce spectacle en est l’indéniable beauté plastique. Comme le nouveau cirque nous y habitue mais rarement à ce point d’excellence.
Il y a aussi des numéros plus traditionnels mais d’une rare élégance corporelle comme ces montées au mât chinois ou à la corde, toutes très maîtrisées et d’une rare élégance… Ce qui caractérise ce travail collectif – il faut insister là-dessus – brillamment mis en scène : extrême précision gestuelle, souplesse et rigueur absolue, fluidité et rythme, coordination et complicité, mise en valeur de la gravité du corps de ces jeunes interprètes à qui on a bien appris à maîtriser l’espace-temps du chapiteau (cela se voit au premier coup d’œil) où ils sont formidablement à l’aise, précision, discipline et concentration absolue dans l’expression gestuelle individuelle et collective, unité de jeu et humilité absolument exemplaires (nombre de jeunes comédiens issus de grandes écoles qui ont tendance à jouer les vedettes pourraient en prendre de la graine !)
Ces treize étudiants-déjà très professionnels-composent un merveilleux patchwork de quelque onze nationalités et neuf disciplines qu’il faut tous citer pour leur remarquable travail : le Français Antonin Bailles au mât chinois, l’Israélien Inbal Ben Haim à la corde, l’Anglais Fraser Borwick aux sangles, l’acrobate français Corentin Diana, le Portugais Leonardo Duarte Ferreira au mât chinois, Anja Eberhart, équilibriste suisse sur une petite bicyclette, le français réunionnais Tommy Edwin Entresangle Dagour au cercle, Joana Nicioli au mât chinois, la Finlandaise Noora Petronella Pasanen à la corde, l’acrobate français Thomas Pavon, Joana Nicioli, acrobate brésilienne, au mât chinois, le Péruvien Angel Paul Ramos Hernandez à la corde volante, l’acrobate chilienne Silvana Sanchirico aux tissus, et la française Emma Verbeke aux sangles.
Il faut signaler les simples et beaux costumes blancs de Gabrielle Marty, la lumière très fine de Clément Soumy comme celle de la création sonore signée Robert Benz ; côté scénographie, trois ingénieux et formidables plateaux en bois suspendus et flottants à géométrie et hauteur variables, conçus par Camille Davy et Anna Ponziera. Le spectacle leur doit aussi beaucoup comme aux autres élèves apprentis-techniciens de l’ENSATT.
« Quand on m’a proposé de les mettre en scène, dit Mathurin Bolze, j’ai immédiatement eu envie de leur faire rencontrer ceux de l’ENSATT. Je voulais partager avec eux, des mots sur les postures de travail physique et mental, sur leur engagement, sur le risque, je voulais parler métier. Pour remettre des enjeux, retendre l’idée de la scène et de la piste, la haute exigence d’être artiste. Et fonder cela, sur l’acte de présence, leur qualité d’être, leur vitalité créatrice, en cherchant une joie manifeste. Questionner ce désir de singularité et d’en commun d’avec les hommes, ce désir du cirque, éclaircir la voix de ceux qui chuchotent, aiguiser le trait de l’acrobatie, rendre possible qu’on y voit du sens, partager leurs exils… (…) Dans cette vacance même, béance du temps (repos, blessure, chômage, dépaysement), ils trouveront l’essence, intime et politique, le fondement de cette nécessité de s’exprimer, de dire. Ils diront par le corps, le geste, l’espace, les mots, les ambiances, les images, les climats, les récits. Ils seront matière grise autant que matière première. Ils s’en feront les auteurs, les porteurs, les traducteurs, les interprètes.»
Allez absolument voir ce spectacle d’une très rare qualité. Après les logorrhées théâtrales de ces derniers temps, cela fait en tout cas le plus grand bien de voir ces jeunes gens de culture et de langue différente, réunis dans un seul et même travail physique – ô combien mais jamais en force – et très mental, un « collectif » comme on dit maintenant, au meilleur sens du terme, dont le dénominateur commun est bien l’expression par le geste et la maîtrise du corps, et si on a bien compris, d’une recherche d’une identité mais aussi de communauté artistique autour de quelque chose de primaire comme le corps. Si quelque chose est sacré écrivait Walt Whitman dans Feuilles d’herbe, le corps humain est sacré. Ce spectacle en est la preuve authentique.
Ou oubliait, quitte à se répéter: Laurent Wauquiez, allez aussi voir ce spectacle à la Villette, vous qui n’aimez guère les écoles de cirque, cela vous changera des joutes politiques et des vaines ambitions de pouvoir… Et vous constaterez qu’il y a là, grâce à ses jeunes gens – qui n’ont fait ni Normale Sup ni l’ENA mais une École d’un aussi haut niveau – un formidable terreau d’espoir et de vie indispensable à l’architecture démocratique d’un pays…
– Source : Le Théâtre du Blog.
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