Librement inspiré des Nouvelles fantastiques et des journaux d’Anaïs Nin. Texte : Agnès Desarthe. Mise en scène : Élise Vigier. Musique : Manusound et Marc Sens. Scénographie : Camille Faure et Camille Vallat. Lumières : Bruno Marsol. Films : Nicolas Mesdom assisté de Romain Tanguy. Costumes : Laure Mahéo. Accessoires et maquillages : Cécile Kretschmar. Effets magiques : Philippe Beau en collaboration avec Hugues Protat.
L’autrice et la metteuse en scène convoquent Anaïs Nin et, bousculant les chronologies, la mettent en dialogue avec les acteurs qui vont interpréter son œuvre et son personnage. Nous naviguons avec fluidité par effet de diffraction dans de multiples points de vue. Une plongée de deux heures dans un labyrinthe spatio-temporel, à condition de s’y laisser glisser.
Sur le plateau encombré d’anciens éléments de décors, des châssis mobiles de différente taille jouent sur la profondeur de la scène. Une jeune femme en blanc, venue d’un autre temps, apparaît et disparaît entre ces châssis lumineux ; une femme de ménage balaye. Une rencontre incongrue a lieu entre cette présence fantomatique aux propos énigmatiques et ce personnage d’aujourd’hui plein de bon sens populaire. Un film en noir et blanc de Nicolas Mesdom, projeté au lointain, prolonge leur échange et elles voguent toutes deux sur les eaux paisibles d’un large fleuve… Les images du cinéaste ponctueront la pièce, nous emportant vers l’enfance de l’écrivaine.
Bientôt des comédiens investissent les lieux, pour préparer une pièce où Anaïs Nin est mise en scène. Entre les séquences de répétitions, s’intercalent des bribes de conversations où ils évoquent l’état du monde ou leurs préoccupations personnelles. « Nous avons cherché à tisser différents niveaux de paroles et de récits, dit Elise Vigier. » Agnès Desarthe a puisé dans les nouvelles : La Chanson dans le Jardin, Le Sentiment tzigane, Le russe qui ne croyait pas au miracle et pourquoi, Les Roses rouges, Un sol glissant… Et elle a aussi écrit les dialogues à partir d’improvisations des acteurs qui ont été libres de choisir des extraits de l’œuvre composite de l’autrice anglophone franco-cubaine.
Sur scène règne un joyeux capharnaüm : portants avec costumes, livres, accessoires de théâtre ou de magie. On se cherche dans les coulisses, répète des morceaux de textes, en fonction de qui on a sous la main pour donner la réplique. Ici, Anaïs Nin est incarnée indifféremment par trois hommes et trois femmes d’âge et d’origine divers. « L’ important pour moi, est de valoriser la diversité des corps sur le plateau, dit Elise Vigier. » Ainsi les écrits de l’autrice se partagent entre Dea Liane, en fantôme élégant et des avatars plus charnels. Parmi eux, on reconnaît Ludmilla Dabo, qu’on entendra au final dans un blues tiré de Venus erotica, un livre né de sa rencontre avec Henri Miller. Une beau moment mis en musique par Manusound et le guitariste Marc Sens qui accompagne la troupe tout au long de la pièce. Mais Elise Vigier ne s’attarde pas sur la dimension sulfureuse d’Anaïs, même si la sensualité à fleur de peau infuse son écriture. Il est surtout question de faire résonner le regard qu’elle portait sur le monde, à travers la sensibilité de ses multiples interprètes.
Ceux qui cherchent ici une biographie d’Anaïs Nin seront déçus. Agnès Desarthe et Elise Vigier en proposent un portrait éclaté aux multiples facettes. Le spectacle est construit sur des séquences et la metteuse en scène ne boude pas les effets spéciaux, comme ces tours de magie de Philippe Beau (Anaïs Nin, enfant, fut coupée en deux sur scène par un illusionniste). Ou un numéro de danse du ventre par Louise Hakim, la danseuse du groupe qui nous donne aussi une démonstration de flamenco, si prisé par Anaïs Nin. Le charme de cette élégante mise en scène opère, même si on se perd quelquefois dans une recherche formelle un peu brouillonne.
– Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog.
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