Allias, Grand Prix de la magie en France et en Italie, a beaucoup travaillé pour la télévision : La nuit des héros (France 2), Fort Boyard (France 2), Coucou c’est nous (TF1), Ciel mon mardi (TF1), Magie sous la révolution et créateur d’illusions pour Attention magie (France 3). Il est l’auteur de deux ouvrages réservés aux professionnels et d’une brochure d’initiation pour les enfants ; Le grand cirque des dés à jouer, Les clés de l’évasion et Magicien en herbe. Régulièrement mobilisé pour des événements spéciaux à Disneyland Resort Paris, et de Paris à Moscou, de Bruxelles à Marrakech, sans oublier la plupart des capitales européennes. Surnommé « Le roi de l’évasion », il avait été engagé comme attraction vedette lors des championnats du monde des magiciens (FISM) à Lausanne (Suisse) en juillet 1991.
Allias, les empilages de dés (Photo : Morax vers 1985).
MON AMI ALLIAS
Eloge funèbre prononcé le 12 janvier 2017 par Sylvain Solustri. (1)
Nous avions de mauvaises nouvelles depuis quelques jours, mais personne n’y croyait : Allias ne peut pas mourir. Il va sauter de son lit d’hôpital en criant « Coucou, je vous ai bien eus ! ».
5 janvier 2017, 22 heures : la nouvelle tombe sur mon téléphone portatif. J’ai envie de hurler, de pleurer, de dire à la personne qui m’a prévenu qu’elle s’est trompée !
Non, personne ne s’est trompé : Camille Moysan, alias Allias s’est fait disparaître et comme il l’a dit dans les quelques mots très émouvants qu’il a dicté à Pascaline avant de sombrer dans le coma : il ne reparaîtra plus…
Y’en a comme ça que tu imagines confusément à l’écart de toute idée de fin… La sinistre réalité nous rattrape toujours…
Je n’arrête pas de me souvenir de ces rigolades, des histoires égrillardes qu’on se racontait en gloussant, de ces conneries qu’on partageait, enfin Allias, quoi !
Voici longtemps déjà, et je ne sais plus comment le sujet était venu sur le tapis, nous nous étions promis l’un à l’autre, que le dernier survivant des deux écrirait la chronique nécrologique de l’autre dans La Revue de la Prestidigitation. Le ton, comme d’habitude, était à la plaisanterie, et la mort était loin de nos préoccupations du moment, mais l’idée était sérieuse, car nous nous sommes refaits cette promesse plusieurs fois au cours des années qui suivirent.
La logique de notre différence d’âge aurait voulu que je parte le premier… Camille, mon vieux pirate, espèce d’égoïste, qui est-ce qui va me l’écrire maintenant, ma nécro, quand viendra mon tour ?
Notre rencontre date du 23 janvier 1983 (voyez comme c’est précis…). Nous répétions le « Gala des Jeunes » qui allait avoir lieu en mars, dans une salle qui s’appelait la Nicolaïte de Chaillot et où avaient lieu les réunions de scène du premier lundi. J’étais assis dans la salle et juste derrière moi, je vis en me retournant un garçon dont le physique sortait des canons habituels du jeune magicien afapien. Il était dans une profonde affliction car tout le matériel qui devait lui servir pour son numéro lui avait été dérobé dans le coffre de sa voiture. Un peu désargenté et pris par le temps, pour lui ce gala allait s’arrêter là. C’était sans compter sur la solidarité du monde des magiciens. Notre ami Guy Lore lui fournit sans condition tout le matériel dont il avait besoin. Ce gala fut pour Camille-Allias une splendide réussite. Cet homme jeune, aux bras tatoués, allait m’impressionner alors par ses idées éblouissantes. Je ne donnerai ici comme exemple que les disques de Pavel, que tout le monde faisait à l’époque. Il accomplissait le changement de couleur des deux premiers disques et au moment de saisir le troisième foulard, il s’apercevait que celui-ci avait disparu. Il avait alors l’idée de faire semblant de faire passer un foulard invisible par le trou central. Il sortait alors le dernier disque, devenu transparent, ce qui éliminait l’idée du disque pochette. Les magiciens comprendront de quoi je parle.
Camille magicien, c’était ça : dix idées à la minute avec des perfectionnements et des inventions fulgurantes.
Pourquoi, à la suite de ce gala, sommes-nous devenus des copains inséparables pendant une dizaine d’années ? Je ne sais pas… Sans doute, comme pour Montaigne et La Boétie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
En disant ces mots, je ne peux justement pas m’empêcher de penser à la chanson de Brassens Les Copains d’abord. Tonton Georges nous dit : « C’était pas des amis choisis par Montaigne et La Boétie, sur le ventre ils se tapaient fort, les copains d’abord ». Oui, nous avons beaucoup ri !
Notre amitié sans doute, se développa autour de cette passion commune pour l’art magique, mais aussi pour notre goût du calembour, de la contrepèterie, de triturer les mots, de leur donner une saveur particulière. Ce serait un oubli coupable et même un mensonge, que de ne pas évoquer, sous prétexte de bienséance, le côté rabelaisien de notre Camille.
Il me ressouvient de certaines flatulences mal contrôlées qui furent l’objet d’une rigolade « Hénaurme », alors que nous préparions le congrès de Versailles dans l’appartement cossu de Denise et Maurice Pierre en plein 16e arrondissement. Il me ressouvient aussi d’une certaine histoire qui mettait en scène un hamster et un rouleau de chatterton qui avait beaucoup fait rire les copains. À mon anniversaire suivant, devinez ce que j’ai reçu… Une boîte en carton qui contenait un hamster (vivant) et un rouleau de chatterton.
Allias, magicien de Fort Boyard de la saison 1994.
Je me souviens de nos divagations et de ses inventions délirantes. Les magiciens par exemple, utilisent un accessoire qui s’appelle un faux-pouce et que nous nommons discrètement un FP. Allias a inventé le FG et je vous laisse deviner à quoi correspondait ce « G ». Je me souviens aussi de ces nouvelles couleurs qu’il avait inventées pour un jeu de carte imaginaire. La décence m’interdit tout de même d’en dire plus ici… Je me souviens encore de ces soirées à la Nicolaïte, qui se poursuivaient bien au-delà d’une heure raisonnable et qui se terminaient sur un banc public de la place du Trocadéro. Je me souviens qu’à la suite d’une de ces histoires, qu’il racontait si bien, notre ami Xavier Hodges tomba du dossier du banc sur lequel il était assis, tellement il riait…
Le rire… Le rire de Camille était son lien permanent avec les autres. Pas une photo où il ait l’air morose. Toutes les images que nous garderons de lui seront celles de son humeur joviale et son rire inextinguible. Tous les amis qui l’ont vu au dernier congrès des magiciens en octobre dernier m’ont rapporté qu’il réussissait même à plaisanter de sa maladie.
J’admire ce courage d’oser transformer tes souffrances en rigolade. Tu montrais ton cul, ton nez rouge qui s’allume, tu criais « poil au nez ! » pour oublier ta douleur. Chapeau, l’Artiste !
Les souvenirs de ces formidables années 1980-90 me reviennent…! Un vent de liberté soufflait sur le pays. Nous étions jeunes, nous étions passionnés et ardents, et dans tous les domaines…
Nous nous sommes encore rapprochés lors de ces séances de magie du dimanche après-midi, dans un local de la SNCF, près de la gare de l’Est, que notre ami Ronsin-Schmitt avait mis à la disposition de l’AFAP.
C’est là, après ces réunions, que nous avons commencé à nous raconter l’un à l’autre. Nous avions en commun d’être issus de milieux modestes. Il m’avait confié un jour, et je ne pense pas faire preuve d’indiscrétion en le disant ici, qu’il avait eu faim étant enfant. Il avait connu la rue et n’avait pas eu la chance de recevoir l’éducation que son intelligence aurait méritée. Et ce n’est pas lui faire injure que de dire cela, bien au contraire. Camille Moysan l’autodidacte a fait sortir Allias le magicien de son chapeau. Quel tour magnifique !
Les feux du music-hall, de la magie et du théâtre ont attirés très tôt ces enfants du peuple que nous étions. Nous avons probablement voulu devenir des artistes pour sortir de notre milieu, sans nous en douter consciemment, un peu comme autrefois, dans le nord de la France, on essayait de devenir champion de boxe ou champion cycliste pour échapper à sa condition sociale. Nous préparions ce congrès 1984. Maurice nous avait chargés de nous occuper des concours. Allias pour le close-up, moi pour la scène. Les réunions avaient lieu quelquefois dans le bureau de Maurice à l’OCDE ; Il nous mettait à la porte vers 16 heures en nous disant qu’il fallait qu’il travaille un peu quand-même…
Le groupe de Paris de l’AFAP se retrouva un jour en déshérence… Notre amitié se renforça encore autour de Maurice Pierre -toujours lui- lorsque celui-ci nous fit venir chez lui pour examiner le trombinoscope des membres susceptibles de former une nouvelle équipe. Beaucoup d’anciens de cette solide équipe sont présents ce matin et ils se reconnaîtront. Nous sommes en 1986 et cette belle entente dura jusqu’en 1993. Se souvient-on que c’est encore Camille qui eut l’idée, alors que nous cherchions sans arrêt de nouvelles inspirations pour animer le groupe de Paris, de créer la galette des rois de la réunion de début janvier. Cette tradition perdure, m’a-t-on dit. Combien savent encore que c’est à lui que nous la devons ? Que de plaisirs pendant ces années magiques ! Des congrès, l’animation du Groupe de Paris de l’AFAP, dans lesquels il était toujours partie prenante et bouillonnant d’activité, et puis cette formidable aventure de Marco Polo en 1986, sous la conduite de Ben Ducobu et de Maurice Pierre – encore et toujours Maurice – ! Et en 1993, cette idée formidable qu’il eut d’organiser les « 24 heures de la magie », réalisée grâce à l’amicale complicité de Georges Proust qui nous prêta son tout jeune musée.
Des idées, des idées, mais qui bien souvent pour la plupart d’entre nous, ne restent que dans les méandres de la pensée, étaient par lui mises le plus souvent à exécution. Magicien prolixe, je n’en connais aucun qui, comme lui, ont abordé toutes les formes de la prestidigitation : close-up, scène, salon, magie générale, manipulation, mentalisme, grandes illusions et j’en passe. La seule qu’à ma connaissance il n’ait jamais abordée, mais peut-être m’apportera-t-on la contradiction, c’est la magie des « cocottes ». Voilà encore une expression 100% alliassienne ! Quand on voyait apparaître des colombes et des tourterelles, c’était des cocottes ! Un jour que nous regardions la vidéo d’un médiocre confrère cocottien, il lui vint l’idée de faire une charge à la braguette. Il s’empara d’un morceau de ficelle pour faire un harnais, d’une canette de soda qui figurait la cocotte et d’un torchon de cuisine qu’il avait sous la main et testa son invention en riant aux éclats, et ça marchait très bien ! Cette anecdote résume toute la personnalité de notre ami. Créer et se marrer… Mais parfois, au coin d’un bois, après une salve de calembredaines, il fallait hurler un bon coup. Pas à la mort, Camille : à la vie ! Elle était tant tellement plus redoutable, plus gueuse et féroce ! A la FISM à Lausanne en 1991, nous partagions la même chambre d’hôtel ou nous nous baladions à poil par une chaleur caniculaire. Avant de te suspendre à cette grue, tu avais voulu dormir un peu. Tu m’avais demandé de te réveiller à une heure précise pour te préparer. J’ai encore dans l’âme le hurlement que tu as poussé quand je t’ai réveillé. Elle te faisait aussi peur qu’à moi, cette grue. Tu y es allé quand-même ! Un cri comme celui que lance Anthony Quinn à la fin de La Strada, quand il comprend que la vie est finie et qu’elle ne repassera pas les plats.
Allias sur le tournage de l’émission de TF1, Les Extraordinaires, conseiller d’Hervé Listeur lors de sa performance de « magicien Dicer » (novembre 2015).
Tu auras été un vrai homme vivant, et il n’y a pas de mort qui tienne : tu le resteras ! C’est quoi, un homme vivant ? C’est un homme qui comprend tout et qui devine ce qu’il ignore. C’est un homme qui transforme sa misère en chanson de salle de garde et qui se cache pour se gratter la peau de l’âme comme si c’était celle de… son crâne. Tiens, à propos de crâne, encore un souvenir : sa calvitie naissante le gênait un peu pour faire le magicien et il s’était fait faire une « réchauffante », comme on dit en argot de théâtre ; il l’avait portée, un peu… Et puis parce que les copains se moquaient doucement, il l’avait rangée dans sa boîte et s’était rasé la tête. Un jour, pour nous faire rire, il a ressorti la « toumtoum » (voilà encore une particularité du langage alliassien : un chat était devenu un « achbaum », et une moumoute une « toumtoum » ; c’est comme ça !), il ressortit donc la moumoute de la boîte et l’a posé sur son crâne rasé. Vision surréaliste. Personne ne peut imaginer l’effet produit si on ne l’a pas vu ! Enorme dilatage de rate, encore…
Les ALMOYAN’S : Allias avec Didier Morax et Yann Brieuc (2016).
C’est ce même besoin de rire et de faire rire qui l’a conduit vers le théâtre où il s’est essayé avec bonheur, il faut le dire. J’ai le souvenir d’une représentation du Fil à la Patte, de Feydeau, où il faisait merveille. C’est ça le talent ! Et puis la vie avec ses déboires et ses aléas est passée par là… Nos chemins se sont séparés. Nous nous sommes éloignés du monde magique associatif qui nous permettait de nous voir au moins une fois par semaine ; Allias venait moins à Paris et je ne venais jamais dans ces contrées lointaines du nord de Paris où il habitait… Nous nous revoyions de loin en loin, toujours avec le même plaisir, puis de moins en moins… Mais notre relation se déroula toujours sans révéler le moindre fil de discorde. Les plus fortes amitiés comportent parfois des zones grises. Pas la nôtre. A peine me reprochais-tu, parfois, de refuser les innovations techniques et le temps présent, à peine te reprochais-je, parfois, d’être trop en prise avec le monde moderne et la télévision.
Sylvain Solustri.
Un jour, j’ai reçu la nouvelle de la mort de ton fils par Akyna, notre amie commune. Je l’ai reçu comme une balle dans la peau. D’autant plus que ce deuil remontait déjà à plusieurs mois et que tu n’en avais rien dit aux copains. Je n’ai rien dit non plus, ni à toi ni à personne, parce que si toi, tu n’en avais pas parlé, c’est que tu désirais garder pudiquement ta douleur pour toi. Le soir, chez moi, j’ai pleuré. Ces larmes, je l’ignorais alors, c’était un acompte sur le chagrin d’aujourd’hui.
Alors, tu vois, Camille, toi comme moi, nous avons vendu tellement de surnaturel aux autres qu’on a fini par ne plus y croire… Parce que, même si nos conversations glissaient toujours vers la gaudriole, il nous arrivait d’être sérieux et de comparer nos croyances, nos raisons de vivre, nos engagements… parfois nous arrivions à nous convaincre mutuellement, parfois pas. Ainsi je n’ai jamais réussi à te convertir à l’opéra… Tu trouvais cela ridicule… Mais pour en revenir à l’au-delà, aujourd’hui et pour ravaler mon chagrin, j’ai envie de croire qu’il existe et que tu vas retrouver les copains, Maurice et Denise, Edernac et Gysin et Vic Neldo et Gauthron, Ali Bongo et Jean Garance, Jacques Tandeau et Schmoll et Jo Martiny’s et d’autres… dont la liste serait trop longue, et que vous continuerez à vous montrer la énième façon de faire les 3 cordes, le sac à l’œuf ou la passe synthèse. Mais toujours en riant très fort, pour faire la nique à cette salope de mort !
Note :
(1) Sylvain Solustri est comédien et magicien, ancien président du Groupe de Paris et ancien secrétaire du CNAMI.
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