On se demande ce que c’est, sinon une insulte : hystérique est la colère que nous ne supportons pas, hystérique, la résistance de l’autre, le blocage, le corps qui fait taire l’âme ou qui la fait trop parler. Gérard Watkins s’est plongé avec les élèves de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille dans une vraie recherche sur cet objet étrange et spectaculaire.
On sait que le docteur Charcot, à l’hôpital de la Salpêtrière, exhibait ses hystériques et August Strindberg venait assister à ce théâtre. Des femmes, cela va de soi, si l’on pense à l’origine du mot hystérie, cette chose qui pousse dans le ventre mystérieux des femmes. « Tota mulier in utero » (la femme se résume à son utérus), aurait dit Hippocrate, bien qu’il fût grec et au demeurant, bon médecin.

L’hystérie a quelque chose à voir avec la scène théâtrale mais aussi avec la séance psychanalytique. La scénographie pose cela d’emblée : la petite salle Copi du Théâtre de la Tempête s’ouvre sur l’autre, sur les cinq portes de la tragédie antique, dont une grande porte centrale celle des Dieux (et celle des accessoires). De fait, sans emphase, le spectacle s’ouvre sur la réunion, dans une banale salle d’attente, de trois médecins qui se veulent terriblement modestes et prudents avec les patients de leur institution : nous ne parlerons pas de guérison, mais de passerelles… Et qui pratiquent une fine auto-analyse : on se délectera des observations de l’homme sur la nature du regard masculin. Ils convoqueront, sous une forme assez drôle, les superstitions antiques, du temps où les Grecs, quoiqu’ils en disent, étaient quand même un peu barbares, avec un Asklepios ambigu – c’était le dieu-médecin d’Épidaure, avec sa cure par le théâtre et par l’ivresse -, puis, plus tard, des théologiens catholiques louches (Jacob Sprenger et Heinrich Kraemer, dont les œuvres furent imprimés en 1487) codifiant les actes de sorcellerie pour justifier des milliers de condamnations au bûcher – des femmes, cela va sans dire, « hystériques ».
Mais nos trois médecins scrupuleux (Julie Denisse, David Gouhier et Clémentine Ménard) se concentrent sur leurs patients, l’employé de pizzeria à la main paralysée (Malo Martin) et la fiancée bloquée par des évanouissements et vomissements intempestifs (Yitu Tchang). On voit alors se construire un jeu subtil de pouvoirs : celui des soignants qui le refusent mais qui ont du mal à s’empêcher de l’imposer, au nom d’une efficacité qu’ils refusent et désirent à la fois, et celui des patients. Ces enfants gâtés parfois usent leurs “thérapeutes“ au bras de fer, au point de les pousser à des colères “hystériques“ (à moins que ne soit une saine colère ?).

C’est drôle souvent, sans jamais tomber dans la caricature ni le “surplomb“, d’un rire, celui de la rencontre avec le vrai. Le public, pris à témoin comme un amphi d’étudiants, ou, pourquoi pas, comme celui de Charcot, joue son rôle attentif et respectueux. Et l’on se dit que, si l’hystérie a quelque chose à voir avec le théâtre, le travail du théâtre a peut-être alors bien à voir avec l’hystérie. Du côté du comédien paralysé de trac ? De la possession chamanique ? Sans doute sur un point indispensable, inattendu quoique toujours espéré : oui, il y a parfois un dénouement, pas seulement au théâtre, et une “conversion hystérique“ peut être dénouée par une parole très politique. Enfin une bonne nouvelle ; les soignants ne sont pas Dieu, ils n’ont pas tout à attendre d’eux-mêmes. On le sait mais on l’oublie : la vie psychique et la vie sociale sont aussi bien emmêlées que les racines et la terre.
Mais que ces hautes considérations n’intimident pas le spectateur : cet Ysteria reste un ouvrage de théâtre, avec sa dose d’humour, original et fin, et qui donne à penser.
Article de Christine Friedel. Source : Théâtre du Blog.
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