« Combien d’hommes profondément distraits pénètrent dans des trompe-l’œil et ne sont pas revenus. » Cocteau (Les enfants terribles, 1929)
Le trompe-l’œil est, comme son nom l’indique, destiné à tromper l’œil et trouve son origine dans les fresques et mosaïques antiques. Le récit le plus ancien qui marque le début du trompe-l’œil est celui de Pline l’Ancien. Il rapporte dans son Histoire naturelle comment le peintre Zeuxis (464-398 av JC), dans une compétition qui l’opposait au peintre Parrhasius, avait représenté des raisins si parfaits que des oiseaux vinrent voleter autour. Si l’Antiquité est le point de départ de cette illusion parfaite, la Renaissance et le Maniérisme vont amplifier ce phénomène avant que la période Baroque n’en fasse un genre à part entière. La virtuosité atteint alors son comble et cette illusion doit alors beaucoup aux techniques de la perspective et du clair-obscur. Toutes les périodes vont s’y intéresser, même si les supports et les enjeux ne sont plus les mêmes.
En art décoratif, cette « tromperie des yeux » recouvre différentes réalités : l’imitation, le pastiche ou les illusions d’optique. Elle s’applique autant à l’objet (céramique, orfèvrerie, papier-peint, bijou…) qu’à la mode ou à l’affiche. Cette tromperie concerne autant la matière, la technique, le sujet que l’usage. On observe par exemple, que de nombreuses matières vont être imitées par d’autres : la céramique imite le jaspe, les roches rares, le porphyre ou l’or ; le linoléum, le plancher ; le strass, le diamant ; la broderie, le bijou… La virtuosité devient très vite le principal ressort de ces recherches. Plus seulement ersatz bon marché de matières luxueuses, ces techniques deviennent des savoir-faire propres à développer la maîtrise des artisans. Le papier peint sera le support idéal de cette forme d’expression. Capable de toutes les illusions, il reproduit tous les matériaux, du plus modeste au plus somptueux : bois, laque, faïence, paille, velours ciselé. Il peut même se substituer à une huile sur toile et à son encadrement de bois doré.
L’objet nous trompe sur sa matière comme il peut nous tromper sur sa fonction. Un objet peut en cacher un autre : dissimuler ce qui doit rester discret ou jouer sur la notion de surprise. Que trouve-t-on derrière la façade d’un secrétaire ou qu’est-ce qu’un « cabinet d’affaire » ?
En jouant avec les styles et les références, l’objet nous trompe aussi sur son époque. Le Moyen-Âge réinterprète l’Antique alors que le XIXe siècle imite le Moyen-Âge, la Renaissance ou les civilisations orientales… De grands créateurs s’illustrent d’ailleurs dans ces domaines : Théodore Deck revisite les arts de l‘Islam, Gabriel Viardot ceux de la Chine ou du Japon, tandis que Charles-Jean Avisseau travaille à la manière de Bernard Pallissy. Ce système de références est un des ressorts utilisé au XXe siècle par les publicitaires qui font notamment allusion aux chefs-d’œuvre de la peinture pour imaginer leurs campagnes.
Au-delà du trompe-l’œil, les jeux fondés sur les mécanismes de la vision, effets d’optique et illusions visuelles sont tout autant utilisés par les créateurs pour troubler la perception du réel. La mode, plus que tout autre domaine, assume et revendique le théâtre des illusions les plus folles. Du XVIIIe au XIXe siècle, perruques, tournures, faux-cul sont autant là pour tromper que pour sublimer le corps et le vêtement.
Comme un jeu de piste à travers les siècles et les matières, c’est au grand jeu de l’illusion que nous convie cet accrochage. Réunis en douze thèmes près de 400 objets, jamais ou rarement montrés se font écho et témoignent des inventions techniques et artistiques. De « Ombre et lumière » à « Une matière peut en cacher une autre » en passant par « Optique hypnotique » ou l’évocation d’une vraie fausse Period Room, le visiteur aura les clefs pour découvrir les artifices du trompe-l’œil et de l’imitation.
« Dessine, peins, imite surtout, fût-ce de la nature morte. Toute chose imitée de la nature est une œuvre, et cette imitation mène à l’art. » Jean-Auguste-Dominique Ingres (Notes et pensées, 1870)
1- Les 2D sont pipées
Les recherches sur le principe du trompe-l’œil trouvent leur origine dans les fresques et mosaïques antiques. Le récit le plus ancien cité en référence est celui de Pline l’Ancien. Il raconte dans son Histoire naturelle comment le peintre Zeuxis (464-398 av.J.-C.) lors d’une compétition qui l’opposait au peintre Parrhasius, avait représenté des raisins si parfaits que des oiseaux vinrent voleter autour. De la Renaissance au Surréalisme en passant par le Baroque, les artistes vont chercher des techniques de représentation simulant perspective, relief et matières jusqu’à l’illusion parfaite. Avec la peinture, le papier peint se révèle être un autre support privilégié pour ces créations aux frontières du réel. Du sol au plafond, les décors en deux dimensions, offrent d’étonnantes percées.
Sélection d’œuvres :
– Plateau de cartes à jouer en porcelaine émaillée (XIXème siècle)
– Armoire surréaliste de Marcel Jean (bois peint et verni, 1941).
– Bacchus et Ariane de François Desportes (raisins hyperréalistes, 1720)
2- Faire comme si
Du XIXe siècle jusqu’à nos jours, les fabricants de papier peint, Linoleum, Formica ou Vénilia, rivalisent d’ingéniosité pour proposer des matériaux permettant, à moindre frais, d’en imiter d’autres plus coûteux. En 1863, le fabriquant Frederick Walton met au point un nouveau procédé, breveté sous le nom de Linoleum, mot dérivé du latin linum, lin et oleum, huile. Il imite aussi bien le carrelage que les tapis persans. Au cours du XIXe siècle, des manuels de peinture spécialisés dans l’imitation sont régulièrement publiés et donnent aux artisans des modèles pour simuler le parquet ou le marbre dans les intérieurs aux décors éclectiques. Partant de techniques anciennes ou de matériaux synthétiques, les créateurs contemporains jouent également avec ces savoir-faire illusionnistes.
Sélection d’œuvres :
– Tapis de pucci de Rossi (1983)
– Semainier Lanaken Inverno de Ettore Sottsass (1995)
– Publicité Ripolin, Les trompe-l’œil (1998)
– Vitrine de papier peint à motif et linoléum (collection de catalogue album de 1889 à 1998).
3- Une matière peut en cacher une autre
Le jeu des substitutions est récurrent dans l’histoire des arts décoratifs. Dès l’Antiquité, les céramistes cherchent à imiter le marbre et le jaspe. Dans les années 1950, Pol Chambost, est considéré comme le meilleur spécialiste des effets de trompe-l’œil en céramique. Le service « Coquillages » devenu emblématique de sa collaboration avec Primavera, a été conçu pour une exposition consacrée à la mer en 1957. Son émail blanc sur dégradé de violet a fait l’objet d’un dépôt de brevet. Dans un autre domaine, le papier peint remplace au XIXe siècle, aussi bien le bois que le cuir, mais aussi les textiles les plus rares. Dans tous les cas, l’imitation des matières prosaïques ou précieuses stimulent les savoir-faire et font l’objet de multiples inventions.
Sélection d’œuvres :
– Série de vases Bambous en faïence émaillée (1956)
– Service de table coquillages (1955)
– Papier peint à motif répétitif à raccord droit (1885).
– Service à boire en porcelaine et entièrement décoré en or par Bastien et Bugeard (1830-1850)
– Plat « faux bois » en faïence émaillée de Grandjean Jourdan (Vallauris, 1955)
– Boîte-panier en fer blanc, emboutissage imitant le bois tressé (1980).
4- Copie conforme
L’invention de la galvanoplastie au XIXe siècle ouvre la voie à la reproduction à l’identique d’objets de toutes sortes. Dans ce siècle passionné par l’histoire, les musées européens de Berlin, Budapest, Paris, Vienne et Londres voient dans cette technique l’opportunité de reproduire les grands trésors de l’Antiquité et du Moyen Âge afin de les exposer simultanément dans leurs institutions respectives. Ces pièces, reproduites à plusieurs exemplaires par les plus grands fabricants d’orfèvrerie comme Elkington en Angleterre et Christofle en France, sont présentées à des fins didactiques en précisant qu’il s’agit de copies conformes à l’original.
Sélection d’œuvres :
– Calice, ciboire, coupe, lampe et soupière. Reproduction galvanoplastique en cuivre doré ou argenté d’originaux de la fin du XVème siècle (Allemagne, 1888)
5- Ca trompe énormément
Comme dans un jeu de cache-cache, certains objets ne livrent pas leur secret au premier regard. Certains pichets sont dits trompeurs car leur col ajouré laisse penser qu’on va en renverser le contenu. En terre vernissée, en grès, en faïence mais aussi en verre, c’est une facétie populaire ancienne. Sur le même principe, on trouve le siège d’aisance en livres. Il est mentionné dans l’inventaire d’un certain Pierre Le Gendre dressé au XVIe siècle. Les volumes, qui dissimulent son usage premier, portent des titres en rapport avec les événements politiques ou littéraires marquants de leur période de création. Les effets cachés des créations récentes proviennent des matériaux. Objets de design ou sculptures inspirées par la photographie, ils fixent à jamais des phénomènes éphémères comme le reflet d’un visage disparu.
Sélection d’œuvres :
– Tabouret d’affaire tabouret d’aisance représentant 4 gros livres empilés qui s’ouvrent sur le dessus (1770)
– Petite plaque murale en forme de cage à oiseau recouverte d’une tente à rideaux verts en faïence de grand feu (1780).
– Deux publicités Canada Dry (1981-1985). « Ca ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool, mais ce n’est pas de l’alcool et c’est pour ça qu’il désaltère. Depuis Canada Dry, ce n’est plus l’alcool qui fait les héros ! »
– Sculpture de Richard Shaw représentant une soucoupe avec un citron sur un livre en porcelaine et oxydes colorés (1987)
– Papier peint représentant la tranche de livres (2011)
– Pot trompeur en verre soufflé en faïence. Modelé à chaud, décoré à la pince et gravé à la roue (Nevers, après 1650)
– Croûte d’Alphonse Lamarre. Porcelaine émaillée imitant un soufflé en croûte (1900).
6- A la manière de
De tout temps, le passé a inspiré les créateurs. L’Antiquité et l’Orient en particulier ont exercé jusqu’à aujourd’hui un puissant attrait. Le regard sur ces cultures éloignées ne signifie pas imitation pure et simple. Pastiches, parodies ou transpositions, ces relectures offrent une vision toujours décalée. Les motifs mais aussi les techniques anciennes sont l’objet d’interprétations et d’expérimentations passionnées. Dans cet esprit, Philippe-Joseph Brocard, décorateur de verre, actif à Paris dans la seconde moitié du XIVe siècle est le premier à étudier attentivement et à réutiliser la technique de l’émail peint sur verre dans sa version islamique. À partir de 1867, il date régulièrement ses pièces et les signes presque systématiquement, peut-être pour éviter toute ambiguïté.
Sélection d’œuvres :
– Affiches par Yves Saint-Laurent, rive gauche d’après Gabrielle d’Estrée au bain (1594) et Olympia de Manet (1998)
7- Cousu de fil blanc
Selon Charles Baudelaire « Il importe fort peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous ». Placés sur le vêtement ou intégrés à la coupe, des détails comme les poches, les cols, ou le boutonnage perdent leur fonctionnalité pour devenir décor en trompe-l’œil. Dans le même esprit, le tissage imite les réseaux de dentelle, et la broderie, les effets d’un drapé ou des bijoux. Les imprimés simulent eux aussi d’autres techniques. L’impression au cadre plat procède de la sérigraphie industrielle dont les prémices remontent au début du XXe siècle ; à la manière d’un pochoir, elle utilise des écrans interposés entre l’encre et le support. Ses divers développements permettent de reproduire des graphismes complexes et délicats. Quant à elles, les matières revendiquent leur caractère factice par leur dénomination : soie artificielle, fausse fourrure, cuir vieilli, simili croco. Elles vont jusqu’à simuler l’usure, la patine du temps et pourquoi pas la peau.
Sélection d’œuvres :
– Veste longue de Jean-Paul Gauthier en toile polyester imprimée à imitation d’une toile en prince de Galles (1984)
– Robe de Karl Lagerfeld pour la maison Chloé en satin et broderie de tubes (1984)
– Photo d’un homme torse nu assis à une terrasse de café de Gunnar Larsen. Veste dessinée sur la peau (1973)
– Combinaison pantalon de Jean-Charles de Castelbajac (2002)
– Salopette et robe en jersey et coton de Sonia Rykiel (2008)
– Veste Jean-Paul Gauthier représentant un buste antique sur une veste de costume rayée. Sergé de rayonne et soie mélangées imprimé, doublure en sergé (1996)
– Robe Hermès. Toile de coton imprimée au cadre
Sollection UFAC (1952).
8- Faux-cul
Vertugadin, criarde, panier, crinoline, tournure, corps à baleine ou corset, l’histoire du vêtement témoigne d’une volonté constante de métamorphose de la silhouette féminine. A chaque époque, ces invisibles accessoires ont modelé les proportions et formes du corps. La tournure ou faux-cul, cette protubérance artificielle qui accentue la chute des reins et la finesse de la taille, apparaît timidement vers 1870 pour atteindre des proportions extravagantes dans les années 1880. Sous-vêtement féminin, elle se porte dissimulée sous le jupon et est généralement constituée d’arceaux métalliques reliés entre eux par un système de laçage permettant d’en régler le volume. Les subterfuges dépassent souvent de loin la réalité et s’attachent à parfaire dans les moindres détails l’apparence. Perruques, postiches, faux-cils ou faux-ongles renvoient alors à une image sublimée de la beauté.
Sélection d’œuvres :
– Fausses hanches en lame de métal et toile de coton glacée (1920)
– Tournure piquée de coton fantaisie, tressé de coton et volant de broderie anglaise (1880)
– Corset (1900)
– Postiche et perruque de Alexandre de Paris pour Christian Dior en crin laqué et nylon (1969-1977).
9- Ceci n’est pas une period room
Spécificité des musées d’art décoratif, la period room est une restitution ou une reconstitution d’un décor intérieur illustrant une période donnée. Ici, loin d’une quelconque vérité historique, l’articulation entre les objets est uniquement régie par leur capacité individuelle à créer une illusion. Ce décor fictif créé de toutes pièces est composé d’éléments provenant des périodes diverses allant du XIXe siècle avec des papiers peints en guise de draperie ou de trophées de chasse, ou encore d’un ensemble de mobilier en papier mâché que l’on croirait en ébène, voire de stickers contemporains plastifiés pour évoquer une cheminée ou une double porte haussmannienne.
10- Ombre et lumière
Grisaille des peintures et polissage du métal jouent sur une simple opposition de l’ombre et de la lumière. Ces techniques suggèrent à elles seules une troisième dimension. Privée de la saveur des couleurs, la virtuosité atteint alors son comble. Ombres portées ou reçues, leurs formes et dispositions s’appuient sur de savants calculs pour des représentations très académiques. Le papier peint sert à reproduire des éléments d’architecture : corniche, sous bassement ou colonne. Aujourd’hui sur ce principe, les portes en trompe l’œil signées de la Maison Martin Margiela sont imprimées en noir et blanc sur tissu autocollant à partir de photographies grandeur nature. Elles font partie d’une série d’objets fantômes baptisée « Ligne 13 » tout à fait en accord avec la signature du couturier belge sans visage qui a décidé de rester dans l’ombre.
Sélection d’œuvres :
– Série de papier peint (France, 1852-1870)
– Série Dessus-de-porte Les Saisons d’après les bas-reliefs des Quatre Saisons sculptés par Bouchardon. Huile sur toile imitant la pierre (1745)
11- Au naturel
La nature reste une source d’inspiration infinie à imiter, amplifier, détourner, sublimer. Quel que soit le domaine, les créateurs ont toujours cherché à rivaliser avec elle. Au XIXe siècle, la fleur artificielle occupe une véritable industrie organisée selon des spécialités. Feuillage, pétales et pistils sont réalisés séparément en toile enduite, cire, papier, velours ou taffetas gaufrés. Ces fabricants fournissent notamment les modistes qui les composent en bouquets plus vrais que nature. Aujourd’hui, les matières naturelles et leurs substituts synthétiques se confondent pour convaincre ou donner l’illusion du vrai. Ineke Hans, designer néerlandaise, conçoit les premières Ordinary Tables avec la volonté de créer un mobilier en plastique, qui semble de bois brut. Le céramiste suédois Hans Hedberg se spécialise, lui, dans la reproduction à l’identique ou surdimensionnée des fruits de la nature.
Sélection d’œuvre :
– Texturologie 7 de Jean Dubuffet. Huile sur toile (1957)
12- Optique hypnotique
L’anamorphose pose, dès la Renaissance la question de l’apparence et de la réalité. Elle résulte des recherches scientifiques menées sur la perception optique et ses applications et est définie, dans l’article consacré aux perspectives difformes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1752-1772), comme une « projection monstrueuse ». Depuis lors, de nombreux dispositifs appliqués aux jeux ont cherché à créer des illusions visuelles en perturbant la perception. Les principes mis en œuvre se fondent sur la distorsion de l’image, les effets de lumière ou la décomposition de l’espace et du mouvement. Considérés comme les précurseurs du cinéma, le zootrope de William George Horner, puis le praxinoscope inventé par le photographe et dessinateur Emile Reynaud en 1876, produisent des images animées à partir de dessins décomposant le mouvement. Leur capacité à émerveiller va bien au-delà du simple effet d’optique.
Sélection d’œuvres :
– Chemises cravates de Paul Dionyssopoulos en Papiers massicotés, pliés et collés sous plexiglas (1978)
– Bane Whippet Bench de Radi Designers. Banc en forme de chien Whippet (1998)
– Anamorphose cylindrique l’Europe de Elias Baeck. Aquarelle, gouache noire sur papier (1740)
– Zootrope avec bande de dessin (1860)
– Diorama représentant The Great London exhibition of industry avec 5 couches (1851)
– Praxinoscope théâtral de Emile Raynaud (1879)
– Film représentant des jouets optiques.
– Source du texte et des images : Site des Arts Décoratifs.
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