Loin d’un in toujours aussi élitiste comme cette année où le programme est souvent du genre expérimental bas de gamme pour bobos, il y a un off qui n’a plus rien à voir avec celui d’autrefois. Il est devenu un festival parallèle beaucoup plus accessible artistiquement et financièrement. Soit quelque mille cinq cents spectacles où il y a du théâtre mais aussi de la danse, du cirque, des marionnettes, de la magie et il est à chaque récente édition, d’une qualité supérieure. Avec souvent des spectacles déjà bien rodés, en France, à Paris ou ailleurs et à l’étranger joués par de bons acteurs, et souvent venus de Paris ou des grandes villes. Ou avec hors-normes, cette conférence-spectacle d’Hector Obalk.

Cette fois, nouveau programme et il analyse toujours avec le même enthousiasme et la même finesse d’approche les œuvres de trois célèbres peintres : Jérôme Bosch, Lucas Cranach, Le Caravage et enfin Gilles Aillaud, un artiste contemporain français. Avec des images envoyées par ordinateur et grossies parfois jusqu’à un détail impossible à voir devant une reproduction. Un outil exceptionnel et remarquablement géré par un assistant. Un outil comme tout professeur d’histoire de l’art aurait rêvé il y a à peine trente ans d’avoir pour faire ses cours. Une lecture intelligente des détails… avec une certaine insolence et parfois un humour acéré contre une période de travail, voire toute l’œuvre d’un artiste. Ce qui n’exclut pas en amont un gros travail d’analyse et de mise au point.


D’abord Hector Obalk, en excellent pédagogue, parle du célèbre Jardin des délices de Jérôme Bosch, un triptyque peint sur bois à l’huile de 220 cms x 386 cms de large. Avec à gauche, la création du monde avec Adam et Ève, au Paradis, puis eu centre, l’humanité pécheresse avant le Déluge et à droite, l’Enfer où les pécheurs sont torturés. Au premier plan, quelque cent vingt hommes et femmes nus blancs pour la plupart mais aussi noirs, ce qui est très rare dans la peinture occidentale est représentés, avec jamais montré mais suggéré, l’acte sexuel et de grand repas avec fruits énormes, ou bouquet de fleurs dans un cul ou des oiseaux qui en sortent.
Des hommes sur un cheval à tête de chat et portant une corne sur le front, une bête aux membres d’homme mais avec une tête monstrueuse avec des ailes de chauve-souris, enfonce une épée dans le ventre d’un homme nu casqué. Et un extérieur du triptyque tout à fait étonnant peint en gris allant jusqu’au noir, presque non figuratif. Hector sait faire aimer le tableau au public en montrant la vie réelle de ces gens assemblés. Et il détaille avec gourmandise l’expression des visages, les vêtements, les bijoux, la fontaine au centre avec l’agneau crachant le sang mais aussi la prairie avec des fleurs comme les iris, les nombreuses églises et les paysages urbains ou ruraux en arrière-plan où on peut voir marcher des personnages, sont peints avec un souci du détail remarquable. Il nous donne envie de nous balader sur les chemins du tableau. Pour aérer les choses, il laisse de temps en temps, la place à une violoniste et à un violoncelliste. Mais il offre au public de revoir en même temps et sans commentaire les images qu’il a commenté. Pédagogiquement très malin…

Puis il passe à Matthias Grünewald, presque le contemporain de Jérôme Bosch avec le très fameux Retable d’Issenheim exposé au musée d’Unterlinden de Colmar, avec la crucifixion du Christ. Hector Obalk est aussi émerveillé par la modernité de cette œuvre qui a inspiré de nombreux peintres contemporains et il met le focus sur des parties du tableau du Retable, très difficiles à voir sur une reproduction, comme les pieds du Christ. En mettant aussi en valeur la Résurrection du Christ et sa Transfiguration…
Puis il parle avec la même passion du naturalisme et du clair-obscur avec faisceau lumineux et ombres portées chez Caravage (1571-1610). Peut-être un peu vite mais toujours avec le même souci du détail vrai qui passionnait déjà le peintre et il sait, comme rarement, faire sentir la révolution qu’il apporta. Il montre entre autres comme on est en plein réalisme, avec la saleté des ongles… Il passe peut-être un peu rapidement mais c’est toujours avec une extrême intelligence et sans aucun pédantisme.
Hector Obalk, comme à chaque fois, passe ensuite à une rapide présentation de l’œuvre d’un peintre contemporain. Ici, Gilles Aillaud (1928-2005) qui appartient à ce qu’on a appelé la Nouvelle figuration. Il a peint de façon très réaliste des animaux enfermés derrière des grilles dans des zoos. Avec un cadrage très particulier où nous sommes comme maintenus à distance et proches d’eux. Une œuvre techniquement impeccable mais Hector Obalk, après les merveilles dont il parlé si finement, peine à nous convaincre de son bien-fondé artistique. Pour nous, Gilles Aillaud aura été aussi et surtout le scénographe depuis 1974 du grand Klaus Michael Grüber à la Schaubühne de Berlin.
Dans cette conférence-spectacle, Hector Obalk montre à un public qu’il connaisse l’histoire de l’art ou presque pas, voire pas du tout, ce qu’il n’a jamais eu l’occasion de voir devant le tableau lui-même ou en reproduction. Et dans cette petite salle, il est dans une grande proximité avec lui. Il a abandonné ses phrases racoleuses, voire un peu vulgaires où nous avions l’impression d’avoir affaire à un ami émerveillé par ses découvertes et qui tient absolument à les partager avec nous. Que du bonheur… Offrez-vous ces deux heures, vous ne le regretterez pas. Tiago Rodrigues pourrait offrir ce bonheur au public du festival 2024, dans une salle plus grande pour que le maximum de gens puissent en profiter. Cela rattraperait un peu cet autre Jardin des délices de Philippe Quesne à la carrière Boulbon, un bien mauvais spectacle, de sinistre mémoire…
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Crédit photo : Dominique Houcmant Goldo. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.