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Réflexions sur le Théâtre

Par Robert Abirached.

Philippe DU VIGNAL

Normalien, agrégé des lettres, écrivain et chercheur, Robert Abirached s’impliqua, dès 1964 dans l’aventure du festival de Nancy, fondé par Jack Lang, qu’il aidera pendant plus de quinze ans. En 1978, il écrit La Crise du personnage dans le théâtre moderne. Enseignant à l’université de Caen, il y créa le premier Institut d’Etudes théâtrales et, de 1981 à 1988, fut de nouveau aux côtés de Jack Lang, comme directeur des spectacles pendant sept ans au Ministère de la Culture ; il donnera un nouveau et remarquable dynamisme au secteur théâtral dans son ensemble.

Il dirigea ensuite La décentralisation théâtrale, un ouvrage collectif en quatre volumes (1992-1995), puis Le Théâtre et le Prince, réédité et enrichi d’un second volume en 2005 sous les titres : L’Embellie et Un système fatigué. Et enfin, en 2011, Le théâtre en France au XXe siècle, avec une importante anthologie.

C’est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs du théâtre en France et il a bien voulu nous livrer quelques réflexions sur la situation actuelle de cet art qu’il aura contribué à modifier en profondeur par sa pensée et son action.

– P. du Vignal : Le théâtre en une cinquantaine d’années, a quitté les genres et écritures traditionnels et, a très vite intégré les technologies les plus avancées en création sonore, vidéo, lumières, etc… Appauvrissement selon les uns, enrichissement selon les autres, même si la réalité est sans doute plus complexe. Mais, en tout cas, avec un public souvent vieillissant…

– R. Abirached : Oui, inutile de se voiler la face : le théâtre a beaucoup changé, du côté de la scène comme du public, et de jeunes créateurs n’ont aucune timidité à utiliser des moyens qui n’étaient pas du tout ceux de la génération qui les a précédés. Avec des réussites indéniables comme celle de Joël Pommerat. Mais il ne faut pas avoir la mémoire courte : des gens comme Pina Bausch, Tadeusz Kantor ou Bob Wilson, avaient déjà bousculé les règles établies, à la suite du metteur en scène allemand Max Reinhardt (1873-1943), qui avait déjà eu une influence considérable à l’époque, en introduisant de nouvelles scénographies, de la danse, de la musique, du cabaret, dans une création théâtrale qui, à l’époque, était uniquement ou presque, fondée sur la parole.

hannetons.gif

La Symphonie du hanneton de James Thierrée (1998).

Et ce n’est pas fini… surtout quand on pense à l’apport d’un Philippe Genty, parti d’expériences psychanalytiques, d’un James Thierrée avec des spectacles comme La Symphonie du hanneton et Raoul, ou encore ceux de ses parents : Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée quand ils ont fondé le Cirque Bonjour…. Après tout, comme vous le rappeliez tout à l’heure, le mot théâtre signifie étymologiquement voir et n’est pas fondé en priorité sur un texte, comme on le croit souvent. Il y a eu aussi, en quelque quarante ans, l’émergence d’un théâtre de marionnettes et d’objets, avec tout un langage visuel auquel, il ne faut pas du tout se méprendre, un public adulte adhère très bien, et de plus en plus souvent, un peu partout en France…

– P. du Vignal : Même si une bonne partie de la profession théâtrale résiste, et reste quand même dans l’ensemble assez frileuse…

– R. Abirached : Oui, mais qu’importe! Quand j’ai publié Le Théâtre au 20 ème siècle, j’ai été souvent agressé par des auteurs qui n’y figuraient pas ! Alors que je privilégiais des gens comme Jean Gillibert dont l’écriture me semble tout à fait intéressante, même si elle est peu reconnue, ou, comme je l’ai déjà dit, celle de Joël Pommerat avec un remarquable langage à deux niveaux, ou encore celle de Wajdi Mouawad. Ces véritables auteurs, qui sont en même temps leur propre metteur en scène, ont maintenant trouvé leur public… Et en quelques années ! Cela s’est fait très vite ; j’ai ainsi vu le public faire une véritable ovation à Mouawad, à la fin de Seuls, à Chaillot, l’an passé, sans doute parce qu’il parlait de choses tout à fait simples mais avec une autre syntaxe théâtrale que les gens comprennent maintenant très bien.

– P. du Vignal : Sans doute mais est-ce, à votre avis, le prélude à une autre forme de théâtre radicalement différente ?

– R. Abirached : La question que vous posez est tout à fait pertinente ; il me semble que le théâtre, du moins le théâtre occidental, est à un tournant de son histoire mais il faut bien se garder de prophétiser dans ce domaine. En tout cas, l’image est de plus en plus présente, mais, attention, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de sens, au contraire !

Pinocchio-de-Joel-Pommerat-.gif

Pinocchio (2008) de Joël Pommerat (Photo : Elisabeth Carecchio).

– P. du Vignal : Mais alors, pourquoi, à votre avis, les gens ne vont-ils plus, ou beaucoup moins, au théâtre, c’est un constat que l’on peut faire tous les jours, même dans le théâtre de boulevard. Et, d’année en année, le phénomène s’intensifie, même si des festivals : Avignon, le in et, de plus en plus le off d’Avignon, Aurillac ou Châlon drainent de nombreux publics. Question de prix sans doute mais pas seulement ?

– R. Abirached : Oui, mes enfants vont au théâtre… mais deux fois par an, pas plus, alors qu’ils fréquentent le cinéma régulièrement. Et ils seraient frustrés si cela ne leur était plus possible. C’est évident : le théâtre actuel, dans son ensemble, ne les concerne pas beaucoup. Mais celui des créateurs dont je parlais, si j’en crois la réaction des salles, est, lui, plus fort, parce qu’il est fondé sur un autre usage, moderne, du verbe. Soyons lucides : des dramaturges, autrefois consacrés et reconnus en France et à l’étranger, comme Anouilh, Giraudoux, Salacrou… ne pourraient plus actuellement écrire des pièces comme ils le faisaient, et ne sont plus guère joués, alors qu’il avaient encore du succès, il y a quelque soixante ans ! Et soixante ans, ce n’est rien dans l’histoire des spectacles mais on est passé à autre chose: leur théâtre uniquement fondé sur le verbe, et parfois le mot d’auteur, ne fonctionne plus.

Mais, quand, entre autres, Jean-Luc Lagarce s’interroge sur la recherche de l’identité et sur le sens sociologique de la famille, il écrit des textes qui nous touchent vraiment. Et, souvenez-vous, puisque vous y étiez aussi, quand nous avons vu au Festival de Nancy, dans les années 1970, des spectacles comme Café Muller de Pina Bausch, Le Regard du Sourd de Bob Wilson avec son extrême lenteur et son mutisme, ou encore Fire du fameux « Bread and Puppet » de Peter Schumann, et nous avons dû constater qu’il y avait déjà une évolution irréversible.

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Le Regard du sourd de Robert Wilson (1970).

Autre remarque : quand on voit un film comme Casablanca de Michael Curtiz (1942) avec ces deux acteurs exceptionnels qu’étaient Ingrid Bergman et Humphrey Bogart, si on veut reproduire leur relation amoureuse sur un plateau de théâtre, on est foutu… Le cinéma pour des scènes d’amour, comme celles de Casablanca est incomparable, et le théâtre, comme on le concevait encore il y a un demi-siècle, n’est pas éternel. Heureusement, il y a de nombreux auteurs qui se sont révélés depuis une vingtaine d’années, grâce à la politique (résidences d’auteurs, colloques, aides à l’édition, etc…) qu’avait mise en place Jack Lang et qui, maintenant, porte ses fruits…

– P. du Vignal : Comment expliquez-vous ce qu’on pourrait appeler un certain désengagement de l’Etat ?

– R. Abirached : Cela m’embarrasse un peu de vous répondre, puisque j’ai fait partie de l’équipe de Jack Lang au ministère de la Culture. Mais, quand François Hollande dit lui-même qu’il ne lit pas de romans… Il me semble que le pouvoir politique actuel se soucie beaucoup moins de littérature, de musique et d’arts que François Mitterrand et les socialistes qui l’avaient accompagné. Cela a profondément modifié les choses en France. Pompidou, lui aussi, était un ancien normalien, grand amateur de poésie et d’art contemporain.

Mais nous avons maintenant affaire à la tête de L’Etat, des générations d’énarques qui ont d’autres préoccupations. La « distinction sociale », comme disait Pierre Bourdieu, passe maintenant davantage, quand on veut se montrer raffiné, par la fréquentation de l’Opéra de Paris ou la Scala de Milan, ou des grands festivals lyriques comme Aix-en-Provence…

Il faudrait aussi se poser la question des nominations. Pourquoi et comment, nomme-t-on des gens à la direction des centres dramatiques ? Cela n’est pas la même chose que pour un BHV ou un Carrefour ! Ainsi, nommer Julie Brochen à la tête du Théâtre National de Strasbourg a été une erreur ! Macha Makeieff a du talent mais elle n’était pas destinée à diriger La Criée à Marseille. Il ne faut pas pour autant supprimer les centres dramatiques mais considérer que ce ne sont pas des rentes ! Le Ministère doit reprendre les choses en main ; il y a actuellement une dégradation, un brouillage et un refus d’analyse inquiétants. Il faut négocier avec les villes et convenir de règles de jeu plus transparentes.

Un centre dramatique correctement dirigé doit irradier, et non pas être mis au service d’une carrière personnelle. Et le Ministère doit rester celui des arts et des artistes ; nommer des gens sur dossier ou presque, ne mènera jamais à rien. Il s’agit de revenir aux fondamentaux à partir desquels les Centres dramatiques ont été créés.

savary-le-maitre-bateleur.gif

Savary, le maître bateleur.

– P. du Vignal : Jérôme Savary est mort en mars dernier, et, comme nous, vous l’aviez bien connu…

– R. Abirached : Oui, dans les années 60, Savary aura apporté, avec le Magic Circus, un incroyable vent d’insolence et de liberté : il aura institué un autre rapport avec le public. Le théâtre français avait vraiment besoin de créateurs de cette trempe. Ce que font aussi, et de façon remarquable, des gens comme Hervée de Lafond et Jacques Livchine à Audincourt. Savary, lui, avait voulu Chaillot à tout prix, pour avoir une légitimité et être reconnu par le public parisien. Mais je pense qu’il aurait dû continuer dans la ligne du Magic…

– Entretien réalisé en décembre 2013.
– Source : Le Théâtre du Blog.

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