Qu’ils crèvent les artistes. Cette petite phrase très ironique – et en avance sur son temps ! – était le titre d’un spectacle du grand homme et théoricien de théâtre polonais Tadeusz Kantor (1915-1990). Charles Berling, acteur et directeur du Théâtre Liberté-Scène Nationale de Toulon, très en colère et il y a de quoi, disait avec raison qu’Emmanuel Macron n’avait pas eu un mot pour la Culture1, lors du premier confinement. Un oubli ? Comment le croire ? Et l’avenir ne rassure personne, que ce soit les directeurs de grandes ou petites salles, et tous les responsables de lieux culturels. Et, comme on le sait, les théâtres, cinémas, cirques, musées, bref, tous les lieux culturels et sportifs resteront fermés jusqu’au 7 janvier 2021, voire au-delà !
Sur L.C.I., Charles Berling remarquait : « On va s’entasser dans les trains, on va s’entasser dans les métros, dans les centres commerciaux mais on gardera fermés les théâtres, les cinémas. Je rappelle que nous sommes fermés, donc si l’épidémie repart, ce n’est certainement pas à cause de nous… Il faudrait peut-être ne pas avoir cette haine des artistes qui commence à bien faire. Donc je suis très en colère, très affligé ». (…) « Ces lieux culturels sont des foyers de pensée, de plaisir, de partage. Que l’on est en train de détruire au profit d’un consumérisme terrifiant. « (…) « C’est un mépris de la culture. C’est une haine des artistes qui est en train de monter. Cela n’est pas possible de parler comme ça. Cela n’est pas possible de faire cette distinction. Alors, il faut fermer les grands commerces, il faut fermer les trains, il faut fermer tout ».

Et Roselyne Bachelot, prise dans un étau, sommée de soutenir la Culture tous azimuts, a accepté de se taire, puisqu’elle appartient – encore mais pour combien de temps – à ce gouvernement… Alors qu’elle aurait dû avoir le courage de démissionner, vu la façon dont elle est traitée !
Certes, la situation est loin d’être facile mais, avec le couple Macron-Castex, on n’est pas à une contradiction près ; l’épiscopat catholique français a fini par obtenir gain de cause et tous les lieux de culte pourront de nouveau accueillir leurs fidèles. Certes, les églises sont hautes et c’est pour éviter les miasmes comme on disait, que l’on a inventé les dômes. Mais quand on voit la hauteur sous plafond du Théâtre de Chaillot ou de l’Odéon ou que dans les petits théâtres, les mesures sanitaires draconiennes sont prises, on se dit qu’il y a deux poids, deux mesures. Et il y a quand même une belle hypocrisie gouvernementale. Quid, comme le souligne justement Charles Berling, des centres commerciaux, des métros parisien, marseillais, toulousain… Mais aussi des TER, Thalys, Intercités et autres TGV, etc. où on reste entassé pendant plusieurs heures avec une climatisation parfois défaillante mais qui brasse l’air respiré derrière les masques ? Oui, mais vous n’avez rien compris, il s’agit de l’économie nationale ! Alors, ne venez pas pleurer pour vos théâtreux et autres ! A ceci près que c’est nier la notion d’Egalité devant la loi, pourtant inscrite partout sur les frontons des mairies ! Eux aussi font tourner – et comment ! – la boutique France.
M. l’énarque Castex, arrêtez de nous infantiliser et de nous faire la leçon, d’enfumer les professions du spectacle tous genres confondus, du cinéma, des musées, obligées de réviser sans arrêt leurs projets et tableaux de travail… Et quand Roselyne Bachelot – elle a voulu être ministre de la Culture mais elle ne doit pas être à la fête – veut nous faire croire que « c’est mieux de ne pas reprendre maintenant, pour ne pas être obligé de refermer en janvier.», elle se moque de qui ? C’est d’un jésuitisme absolu ! Et on comprend la colère du monde de la Culture, entre autres, celle de remarquables femmes de théâtre comme la comédienne Ariane Ascaride ou Macha Maekeïeff, metteuse en scène et directrice du Théâtre de la Criée à Marseille.
Et demandez à tous leurs fournisseurs ce qu’ils en pensent : à Paris, comme dans nos douces provinces, demandez aussi aux commerçants et artisans d’Avignon, d’Aurillac, Cannes, Orange, Bussang, Charleville-Mézières, Deauville, etc. Bref, à tous ceux des petites ou grandes villes où a lieu chaque année un festival, voire plusieurs, de théâtre, cinéma, etc. Ce n’est pas seulement la vie culturelle de décembre et janvier qui est mise à mal mais celle de l’économie locale et pour une bonne partie de l’année 2021. Oui, mais bon, quant aux dégâts collatéraux, le Gouvernement actuel verra cela plus tard…

L’acteur Arnaud Churin en a assez des pétitions/supplications, alors qu’il faudrait monter d’un cran et il appelle à la mobilisation générale dans une remarquable Lettre ouverte aux directeurs de cinémas et de salles de spectacle. « On met parfois en avant l’aspect essentiel, vital de la culture. On fait appel au bon sens, à la morale, à la psychologie, aux bons sentiments. Le constat est pourtant implacable : lors de sa première intervention annonçant le nouveau confinement, Emmanuel Macron n’a pas dit un seul mot sur le secteur culturel pourtant massacré. Dans un autre domaine, celui des droits sociaux, ce gouvernement fait même pire: il ne cesse d’affirmer que tout le monde sera couvert « quoi qu’il en coûte » alors qu’il laisse de côté des centaines de milliers d’intermittents de l’emploi (extras de l’hôtellerie, restauration, évènementiel, guides conférenciers…) qui basculent au R.S.A. dans la plus grande pauvreté. Cela fait des mois que nous alertons, que nous revendiquons, que certains députés et sénateurs relayent les demandes mais en vain. La seule victoire, nous l’avons obtenue au Conseil d’Etat qui vient d’annuler une partie de la convention d’assurance chômage 2019.
Arrêtons d’être défensifs et optons pour des stratégies offensives
« La seule solution : attaquer le gouvernement au Conseil d’Etat avec un référé-liberté. Cette procédure permet de saisir en urgence le juge administratif quand on estime que l’administration (État, collectivités territoriales, établissements publics) porte atteinte à une liberté fondamentale (liberté d’expression, droit au respect de la vie privée et familiale, droit d’asile, etc.). Le Juge des Référés a des pouvoirs étendus : il peut suspendre une décision de l’administration ou lui ordonner de prendre des mesures particulières. Pour rappel, les professionnels de la restauration et des stations de sports d’hiver l’ont fait mais leurs demandes n’ont pas été retenues. Seule l’Eglise a gagné et le Gouvernement a dû revoir sa copie sur la limitation à trente personnes lors des cérémonies religieuses : la jauge ne sera plus limitée mais calculée en fonction de la superficie. Pourquoi ce référé-liberté devrait être gagnant ? Parce que les juges administratifs du Conseil d’Etat sont très attachés à la notion d’équité. Et les conditions d’accueil dans une église sont en tous points comparables à celles d’un cinéma ou d’une salle de spectacle. Chacun est assis, masqué, ne bouge pas et regarde dans la même direction. Ironie de l’histoire, Jean Castex lors de la présentation de sa loi sur le séparatisme n’a cessé de vanter la laïcité à la française. Or, dans les faits, les églises sont ouvertes et les théâtres, fermés ! J’appelle donc les directeurs de cinémas, théâtres et autres lieux de spectacle à déposer de toute urgence un référé-liberté au Conseil d’Etat. Cette démarche est essentielle. Et si le juge nous donne tort, il devra justifier sa décision. J’ai hâte de savoir en quoi, le fait d’assister au récit de la naissance d’un homme nommé Jésus serait sans danger, alors que le récit d’un homme nommé Tartuffe serait source de contamination. »
Personne n’accepte la mesure incompréhensible annoncée par Jean Castex et la riposte ne s’est pas fait attendre. « Mais ça y est, ça se bouge enfin, dit Samuel Churin. Jean-Paul Angot de l’Association des Scènes Nationales, Robin Renucci de l’Association des Centres Dramatiques Nationaux veulent y aller. Bien sûr, tous ne vont peut-être pas suivre. Je connais des directeurs des Centres Dramatiques Nationaux qui ne veulent pas s’attaquer à l’État, de peur de perdre leur poste. » Effectivement, on attend encore la réaction des responsables des grands théâtres, nationaux ou pas, mais la révolte gronde avec de nombreux recours devant le Conseil d’Etat. On est impatient de voir la suite…
Appel à la mobilisation
De nombreuses réactions à la non-réouverture des théâtres, salles de cinéma et de concert se font entendre. L’heure n’est plus à la plainte mais à l’action. Devant le silence de la ministre de la Culture, des voix s’élèvent, l’indignation gronde. « Et Bachelot elle est où ? », ironise un internaute. « Les évêques ont réussi à faire ouvrir les églises, dit un autre, pourquoi les artistes ne réussiraient-ils pas à faire rouvrir les théâtres, au nom de l’équité ? »

Eugène Delacroix – La Liberté guidant le peuple (1830).
« Ils ont osé ! Ils l’ont fait ! Ils sont allés au bout de leur illogique ! », s’insurge le comédien Arnaud Agnel sur Facebook dans Artistes, publics : Agissons. « Nous nous disions, ils vont comprendre » (…) « Eux, si intelligents ! Et ils vont même comprendre que c’est dans l’intérêt de tous, de le faire » (…) « Ces gens-là, qui nous dirigent et sont l’élite intellectuelle de la nation, vont comprendre ce qu’on revendique depuis des semaines en termes simples : rouvrir les salles de spectacles car elles ne constituent aucun danger et sont une source de respiration pour un pays qui agonise ! »
« Depuis mars, nous avons joué le jeu. Nous avons fermé. Nous avons attendu. Nous avons annulé. Nous avons reporté. Vous nous avez blanchi ? On vous en remercie. Il a fallu enfourcher ? On a enfourché ! Sans rien comprendre ce que cela signifiait, mais on a enfourché. Il a fallu distancier ? On a distancié. A la rentrée, nous avons rouvert. Enfin ! Un peu. Pas trop. Juste suffisamment pour nous apercevoir du manque que c’était pour nous, comme pour le public, de ne pas être ensemble. » (…) « Un semblant de société revenait. On se promettait mais sans se le dire, qu’on ne se lâcherait pas. Qu’on ne se lâcherait plus. On a carrément redoublé de foi, quand fin août, vous, le même, avez déclaré : « Le secteur culturel a beaucoup souffert de cette crise… Il faut y aller, au théâtre, au cinéma, il faut soutenir le secteur culturel… La culture est une activité économique… Oui, je dis aux Françaises et aux Français, allez au cinéma, allez au théâtre, vous ne risquez rien. »
« Fin octobre, il a fallu couvrir le feu. On a couvert. On s’est adapté. Encore une fois. Le public était toujours là. Comme une évidence. Mi-novembre, on a été plusieurs à interpeller la ministre de la Culture pour qu’elle obtienne une réouverture au plus tôt. Fin novembre, le Président disait : « Tenez-vous prêts pour le 15 décembre. » Tous azimuts, nous avons redoublé d’efforts. Travail acharné, foi intacte. Répétitions rouillées car corps sans perspectives depuis des mois mais joie décuplée. Et là, quoi ? « Non ! C’en est trop, on craque ! »
« J’en appelle aujourd’hui au public et aux artistes de France. A toute la jeune garde qui a le vent en poupe, à tous les directeurs et directrices de lieux, à toutes les productrices et producteurs de spectacles, à tous les comédiens et comédiennes, à tous les danseuses et danseurs, à tous les musiciens et musiciennes, à tous les metteurs et metteuses en scène, à tous les chorégraphes, aux circassiens, aux illusionnistes, à tous les techniciennes et techniciens, à tous ceux et celles qui travaillent dans les services administratifs, aux auteurs et autrices, agents, aux milliers de personnes qui travaillent dans l’ombre, à toutes celles et tous ceux qui sont dans la lumière, à toutes les têtes d’affiche de notre pays ». (…) « Et enfin, oui, enfin, j’en appelle au public. Ne nous laissons plus faire ! « Des solutions intelligentes existent, nous le savons : imposons-les ! Et que vivent les cinémas, les théâtres, les musées, et les salles de spectacles ! »
Lettre à M. Jean Castex de Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, et de toute l’équipe du Monfort Théâtre (Paris)
« Revenons sur votre allocution, tout en sachant que vous avez pris votre décision à la hâte dans l’après-midi du 11 décembre, ce qui prouve encore une fois le peu de considération que vous nous portez. Dans un premier temps, vous rassurez les Français en prenant une décision qui vous semble sage : laisser nos lieux fermés en raison des chiffres de contamination en hausse. Pas d’objection : nous suivons scrupuleusement l’actualité, nous sommes d’accord avec vous, un objectif sur deux n’a pas été atteint : la barre des 5000 contaminations. Dans un second temps, vous employez ces mots : « revoyure le 7 janvier ». Ce qui nous laisse perplexes. Que voulez-vous nous dire exactement? Vos éléments de langage ne sont pas très clairs. Le 20 janvier est aussi évoqué. Ouvrons-nous donc dans trois semaines, ou encore plus tard ? Alors que vous disparaissez des écrans, nous nous empressons de joindre l’Elysée qui nous précise qu’une réouverture est seulement « probable » à partir du 20 janvier, soit presque sept semaines plus tard… Coup de massue. La colère nous envahit. Si, depuis le début de la crise sanitaire, le milieu culturel s’est adapté à toutes vos injonctions et a respecté toutes les mesures à la lettre, pour la première fois, nous réagissons et faisons entendre notre voix : trop, c’est trop ! Arrêtez de nous infantiliser, de nous mépriser. Vos mensonges sont inadmissibles et portent atteinte à la crédibilité de la parole publique. »
« Ayez au moins l’honnêteté d’assumer votre position : en l’occurrence, celle d’avoir fait un choix politique (et certainement pas sanitaire). Assumez les contradictions flagrantes qui sautent aux yeux de tous : rouvrir les lieux de culte (à croire que nous ne sommes plus dans un pays laïque ?), les grandes enseignes commerciales, laisser les gens s’entasser dans les transports pour travailler et consommer… Mais taxer la culture de « non essentielle » à la nation et lui faire quasiment porter la responsabilité de la crise sanitaire. »
« Chercher à nouveau à nous calmer avec des aides financières publiques, pour faire face à des salles closes ne suffit pas ! Nous vous laissons imaginer la souffrance de notre équipe permanente qui alterne entre chômage partiel et travail en urgence pour l’ouverture tant attendue de mi-décembre. C’est le sens même de nos métiers, nourri par la passion, et le lien avec les spectateurs et les artistes, que nous sommes en train de perdre, Monsieur Castex. Et il faut bien l’avouer, la charge de travail va fatalement se réduire dans les mois à venir si cela continue ainsi… »
« Vous avancez trois arguments dont le risque majeur d’attraper le Covid dans nos salles, un risque réfuté par de grands médecins sur toutes les antennes : ils constatent la rigueur des protocoles sanitaires mis en place dans les lieux culturels pour accueillir le public. Il semblerait que le corps médical soit écouté mais quand cela vous arrange… Ce n’est en fait pas nos salles elles-mêmes qui sont le danger (puisque qu’aucun foyer ne s’y est déclenché) mais le flux de personnes qu’elles occasionnent. C’est peut-être la seule chose que nous apprécions encore dans votre gouvernance, votre sens de l’humour malgré vous ! »

« Je vous invite à vivre un flux extraordinaire ! Les Galeries Lafayette, métro Opéra entre 14h et 17h, un samedi après-midi de décembre. C’est la libération, le bonheur. Le Covid a disparu dans cet arrondissement chic de Paris. Nous déambulons dans les allées, jeunes, moins jeunes, voire très âgés, le masque dans le cou. Il faut dire qu’il fait très chaud et puis ça donne un certain style ! On se regarde de nouveau, on se sourit, on est heureux, les vêtements s’entassent dans les cabines d’essayage. Au vu de la situation et pour être aussi nombreux, c’est certain, nous sommes en sécurité maximale ! Concernant l’ascenseur qui mène au parking, c’est un futur gag pour grand humoriste : nous sommes entre dix et douze personnes tassées, les sacs pleins les bras! Les enfants ne portent pas de masque et hurlent après avoir déambulé plusieurs heures dans cette foule compacte, le visage écrasé sur les parois de l’ascenseur jamais désinfecté et qui fait le manège du premier au cinquième sous-sol depuis neuf heures du matin… C’est effectivement extraordinaire de vivre ces moments qui nous manquaient tant ! Enfin, troisième argument: rester fermé en décembre, pour mieux ouvrir en janvier. En parfaite contradiction avec vos discours sur les fêtes de fin d’année qui feront presque inévitablement remonter le niveau des contaminations… »
« Alors, s’il vous plaît, cessez de nous décrédibiliser face aux Français et à nos spectateurs, qui continuent à nous soutenir. Nous sommes respectueux de la République, responsables, nous avons su protéger nos maisons, nos équipes permanentes, le public, les artistes et toute la chaîne de nos corps de métiers, costumiers, régisseurs, ingénieurs son et lumière… et toutes les professions invisibles. Les protocoles sanitaires que vous nous avez imposés ont tous été respectés et nous n’avons demandé aucun traitement de faveur. Nous ne sommes pas dans le complotisme ou toute autre forme de déni face à cette terrible crise sanitaire. Mais ne nous incitez pas trop à être désobéissants. Cette décision est absurde et injuste. Nous serons donc fermés car nous ne sommes pas un secteur assez fiable et nous ouvrirons au mieux le 20 janvier (peu probable), ou peut-être en février, au pire après les élections présidentielles en 2022 ! »
Article de Philippe du Vignal et Mireille Davidovici (décembre 2020). Source : Théâtre du Blog.
Note :
1 Le secteur dit de la Culture représente 2,3% du P.I.B. national, d’après les chiffres de 2018 avec environ 80 000 entreprises culturelles, soit 670 000 emplois, ce qui représente 2,5% de la population active. Sans compter les fournisseurs de matériel, les entreprises de restauration, de nettoyage, etc.
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