Avec Lucie Valon, mise en scène de Christophe Giordano, création vidéo de Sébastien Sidaner.
Après L’Enfer et Le Purgatoire de Dante, Lucie Valon s’est attaqué au Paradis. Il s’agit, comme dans les deux opus précédents, d’un tremplin où, dit-elle, « pour parler de la société d’aujourd’hui, nous revisitons L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis. On a cherché ce qu’était Paradis dans notre époque, par quel subterfuge, on essayait d’échapper à notre vie quotidienne. On s’est vite rapproché de l’univers de David Lynch qui a imbibé toute l’atmosphère du spectacle ».
Le spectacle commence par une sorte de mini-performance où Lucie Valon essaye désespérément d’accrocher des morceaux de scotch blanc pour figurer une porte sur un mur noir, juste en dessous d’une enseigne indiquant Paradis. Mais c’est son ombre qui va tourner la poignée de cette fausse porte. Le ton est donné ! Merveilleuse image, très graphique, bien dans la tonalité des films de Lynch qui fut une année étudiant aux Beaux-arts de Boston et qui a maintenant un atelier de gravure à Paris.
Et Lucie Valon, dans ce spectacle, un peu comme le faisait Lynch, s’amuse à détourner les codes et à se construire un univers personnel, souvent proche d’un surréalisme à la fois assez noir – il y a peu de lumière sur le plateau – et en même temps complètement loufoque et subversif.
Une des choses les plus étonnantes dans ce petit, et à la fois immense spectacle, est la prise en compte de l’espace. Rien de plus banal que ce plateau noir où il n’y qu’un mur de fond avec ces lettres P a r a d i s qui, à un moment, tombent ensemble d’un seul coup dans un sorte d’irréversibilité à la fois du temps et de l’espace qui s’en trouvent alors modifiés. Comme par magie, alors que l’on sait très bien qu’il s’agit d’un artifice. Comme l’écrivait Pierre Kaufmann dans L’Expérience émotionnelle de l’espace : « Déjà en effet les dimensions de la verticale et de l’horizontale doivent être considérées comme originellement signifiantes dans le champ même de la vision en tant qu’elles forment couple ». Avec, ici, trois fois rien comme accessoires mais la verticale d’un corps et l’horizontalité d’un plateau nu, que Lucie Valon assume de façon remarquable.
Qui de Lucie Valon ou de Christophe Giordano a réussi à mettre en marche ce dispositif scénique où le son de la voix, parfois légèrement amplifiée plus que le sens premier de la parole, sont en parfaite osmose ? Sans doute, les deux, mon capitaine, et cela fonctionne aussi bien – ne rougissez pas de plaisir Lucie Valon – que dans les premières créations de Bob Wilson comme ce mythique Regard du Sourd, ou plus tard La Lettre à la Reine Victoria… où Stefan Brecht (oui, le fils de) avait un gestuelle étonnante.
En chemise blanche et pantalon noir, elle est homme, le visage maquillé de blanc, avec parfois une petite moustache puis l’instant suivant, sans que l’on ait pu saisir comment, on la retrouve en robe, presque élégante et toujours singulièrement émouvante, en train de dire quelques phrases issues du texte de Dante ou pas. Elle a quelque chose de clownesque, comme le rappelle son gros nez rond et gris mais pas seulement quand, par exemple, elle cherche à retrouver ses mains qu’un pinceau de lumière a fait disparaître. Il y a du Chaplin là-dessous… C’est aussi surréaliste que juste, et donc générateur d’une belle poésie visuelle et sonore.
Grâce à une gestuelle d’une impeccable précision, c’est toujours étonnant de vérité. Lucie Valon joue aussi avec les images vidéo projetées sur le mur du fond, d’un bel humour, et pour une fois, très discrètes, bien traitées et justifiées comme cette pluie qui tombe à très grosses gouttes. On ne peut tout citer de ce spectacle si riche et si intelligent. Mais quand elle quitte son personnage de clown et plonge dans une malle en tôle noire, pour réapparaître, une minute plus tard à peine, en Marylin – mini robe et perruque rouge – croquant une pomme tombée du ciel au bout d’un fil et que l’ on entend le craquement amplifié de cette pomme, on atteint une sorte de miracle scénique.
En effet, le spectacle fonctionne aussi grâce à un univers sonore de tout premier ordre composé d’effets et de musiques classiques et américaines kitch, en complet décalage avec le propos mais en parfaite harmonie avec le rythme et les images du spectacle. Comme la mise en scène de Christophe Giordano est des plus soignées et des moins prétentieuses qui soient, Lucie Valon nous emmène où elle veut avec une rare efficacité. Même si parfois, cela tient un peu du catalogue et n’a pas toujours la dramaturgie convenable. On se perd vite, mais qu’importe, dans les méandres de ce flux poétique d’images et de mots, issu, pour une petite partie de Dante, auquel il faudrait enlever un bon quart d’heure inutile ; il lui faudra donc resserrer les boulons.
Mais l’image celle qui devrait être la dernière – il s’agit malheureusement d’une fausse fin – est sublime. Lucie Valon est allongée sur une petite pelouse, et la neige tombe, tombe, comme chez Jérôme Savary. Elle se lève alors et regarde l’empreinte laissée au sol par son corps. C’est aussi simple que fascinant.
Si ce Paradis, Impressions passe près de chez vous, alors n’hésitez pas. C’est un spectacle d’une invention et d’une poésie sans doute unique dans le paysage trop souvent médiocre du théâtre contemporain français.
– Source : Le Théâtre du Blog.
Crédit Photos : Maud Trictin. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.