Dramaturgie, mise en scène, interprétation et construction : Maëlle Le Gall1.
Cette petite forme courte de quinze minutes, pour treize spectateurs, créée en 2015, met en scène des personnages en papier découpé ainsi que diverse objets. Maëlle Le Gall est à la conception et à la réalisation de ce projet d’entre-sort situé dans une caravane de fortune aménagée de mini gradins et de coussins.

Le spectacle commence avec cette question écrite et posée aux spectateurs : « Que seriez-vous prêt à sacrifier pour séduire les autres ? ». Il ne s’agit pas ici de séduction amoureuse mais de séduction sociale. Le personnage principal est un petit garçon solitaire qui vit seul avec sa mère dans une maison bourgeoise. Il n’a pas d’amis et passe son temps à observer deux voisines occupées à jouer à la balle. Un jour sa mère lui offre un drôle de cadeau… qui deviendra sa « nouvelle amie ». Mais la jalousie et la manipulation des deux fillettes auront raison de cette relation atypique…


Maëlle Le Gall a le don de captiver les spectateurs dès les premières minutes de la représentation grâce à un ancrage puissant dans la réalité au travers des problématiques relationnelles qui s’instaurent dès le plus jeune âge. Personne ne peut rester insensible à cette histoire singulière qui touche pourtant à l’universel et qui n’a pas peur de passer du rire aux larmes, de la clownerie au drame. C’est la dure réalité de la vie et de l’apprentissage qui est ici à l’œuvre et qui fait grandir les enfants qui assistent à cette histoire.

Maintenir l’attention pendant quinze minutes est un sacré défi, relevé de façon magistrale. La dramaturgie est synthétisée et précise. La narration va toujours à l’essentiel et utilise judicieusement des séquences répétées comme « le jeu de la balle » pour intensifier la tension dramatique. La scénographie est adaptée à l’espace restreint de la caravane plongée dans le noir et aménagée d’une petite table servant de scène. L’éclairage est constitué de deux lampes de bureau à ressort et équipées d’un variateur de lumière pour des effets de fondus au noir. Maëlle Le Gall utilise différentes silhouettes découpées et tronquées en noir et blanc, de différentes échelles. Ces photographies évoquent des souvenirs « abimés » par le temps mais encore bien présents dans les mémoires ! Ici, c’est toute la subtilité esthétique des détails qui parle. Des éléments de décors mobiles transforment les silhouettes pour faire la transition entre les saynètes. Différents objets sont ajoutés comme une petite balle rouge (le seul point de couleur qui va cristalliser le drame), des plumes, ou une marionnette à doigts. Il y a aussi la présence discrète mais efficace de la bande son.

Maëlle Le Gall manipule tous ces éléments avec une belle fluidité. Elle fait des va-et-vient en-dessous de sa table sans temps mort pour faire défiler ses tableaux magnifiés par un malin travail sur l’éclairage ; variant la lumière, la manipulant grâce aux bras articulés ou alternant les moments éteints et allumés (avec son visage). En femme orchestre, Maëlle Le Gall assure également les bruitages, la narration et le jeu, comme dans cette séquence irrésistible où elle joue le rôle de la mère du petit garçon. Il y a également de belles trouvailles visuelles comme ce moment où les fillettes espionnent le jeune garçon par deux fenêtres grossissantes. Un spectacle captivant.
Notes :
1 Formée aux arts de la marionnette d’abord au Théâtre aux Mains Nues à Paris puis à l’Académie d’Art de Turku en Finlande, Maëlle Le Gall travaille sur des formes de théâtre visuel qui ne s’appuient pas sur un texte mais qui cherchent une écriture de plateau guidée par l’émotion et la sensation. Elle développe un travail de plasticienne et constructrice qui lui permet d’aller toujours plus loin dans son rapport à la matière, aux couleurs et aux volumes. Elle met également en jeu ses marionnettes et celles des autres pour servir des histoires qui se racontent dans des théâtres, des caravanes ou bien dans la rue. La proximité entre le corps vivant du manipulateur/acteur et celui inerte de la marionnette convoque un dialogue qui nous permet de voir au dedans et au-delà de l’être.
2 Kiosk Théâtre est né en 2014 sous l’impulsion de Maëlle Le Gall, Marine Roussel et Romain Landat. La compagnie est basée à Chalon-sur-Saône. A partir de janvier 2021, Maëlle Le Gall prend la direction artistique de la compagnie. Elle poursuit son travail de recherche sur les écritures de la marionnette, les narrations contenues dans la matière et leur déploiement par le geste. La rencontre avec des musiciens est déterminante dans les nouvelles créations de la compagnie qui s’attache à faire se rencontrer ces deux langages. A l’origine le Kiosk Théâtre abrite un désir d’explorer, créer, fouiller et inventer ensemble. Il crée un théâtre de marionnettes qui se construit par l’image. La marionnette est le point central, catalyseur, passeur vers un autre monde qui nous attire irrésistiblement.
Crédit photos : Pierre Acobas. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.