Texte et jeu : Yvan Corbineau. Mise en scène : Elsa Hourcade. Costume et couture : Sara Bartesaghi Gallo. Scénographie et visuel : Zoé Chantre. Création d’objet : Balthazar Daninos. Régie lumière et construction : Thibault Moutin. Musique et son : Jean-François Oliver.
Nous n’avions pu encore voir ce spectacle créé il y a plusieurs années et déjà très réputé et qui s’est joué un peu partout en tournée. C’était l’occasion ou jamais : il passait à Houilles, au Centre culturel de la Graineterie, dans la rue Gabriel Péri de notre enfance, celle où notre grand-mère justement achetait ses plants de fleurs, et pas très loin de la pâtisserie Ampilhac, de la boucherie Foucault, de la quincaillerie del Bracio, de la charcuterie Leclerc, de la boutique de vêtements Cochet, tout un monde à jamais disparu mais aussi de la boucherie Poiget, elle encore là, tout comme la cellule du Parti Communiste Français, toujours au même endroit, plus d’un demi-siècle après…
Yvan Corbineau, comédien et auteur, a été élève de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Il a écrit ce monologue où il parle de sa vieille grand-mère qui n’allait plus très fort. Elle reste dans son lit, ne bouge plus et ne parle plus. Ici jamais visible mais figurée par une sorte de gros édredon. Et quand il va la voir dans sa maison de retraite jusqu’à sa mort, en juin 2008, il invente tout un monde à lui pour la distraire. Ici, avec tout un monde d’objets burlesques comme ces grandes cartes postales qui circulent sur un fil, de petites pancartes, mais aussi des papiers découpés qu’il fait glisser et qu’il assemble en ombres sur la vitre d’un rétroprojecteur, ou avec des projections d’images de vacances. Vous avez dit naïf ? Pas tant que cela, et d’une belle poésie.
L’acteur-auteur dit aussi de petits textes où il joue volontiers sur le langage : « Ma mie rôtie, ma mie jolie… ma mie, c’est cuit, ma mie et puis ? », avec devinettes, comptines, petites chansons, air de trompette. Et il a imaginé aussi un théâtre d’objets animés ou pas, comme ce merveilleux lit en bois miniature, ou ces formidables petits écriteaux qui, comme par magie, s’enflamment – créés par Balthazar Daninos – en interaction avec ce poème où affleure parfois la nostalgie d’un monde de l’enfance entre cruauté et douceur de vivre, qui va se refermer. Le narrateur sait bien en effet que les jours de Mamie Rôtie sont maintenant comptés et que, dans ce cas, la tendresse n’est pas un luxe, même si certains passages sont pleins d’un humour assez acide. Malgré quelques baisses de tension, on ne décroche pas…
La fin avec l’évocation de la mort de Mamie Rôtie est vraiment émouvante, et on sentait que le public avait les larmes aux yeux. C’est juste un grand spectacle, avec de fort jolis bricolages qui auraient bien plu à Claude Lévi-Strauss. Pour le bricoleur, écrivait-il dans La pensée sauvage (1962) « La règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. » Ce qui n’est pas incompatible avec la rigueur scénique dont fait preuve Yvan Corbineau dans le déroulement de cette Mamie Rôtie. En tout cas, si vous le croisez sur votre route, cela vaut le coup d’y aller voir… Nous avons aussi le plus grand besoin de ce genre de spectacle, à mille kilomètres des grandes machines des théâtres nationaux à la fois coûteuses et souvent guère passionnantes…
– Source : Le Théâtre du Blog.
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