Adaptation et mise en scène de Jean Sclavis d’après Les Fourberies de Scapin de Molière.
Scapin a le génie du théâtre. Il affabule, falsifie son identité, monte des canulars et jette de la poudre aux yeux à ses victimes. Et toutes finissent par jouer le scénario qu’il a prévu pour elles. Les dindons de la farce sont deux vieux grigous, avares et tyranniques. Si Scapin les trompe, c’est pour la bonne cause : pour que l’amour triomphe ! (1)
C’est en quelque 80 minutes que l’on pourrait presque assimiler à une sorte de performance avec un seul acteur, Jean Sclavis, capable d’assumer tous les personnages incarnés par huit marionnettes de cent quarante centimètres. Marionnettes qu’il anime grâce à trois leviers avec contre poids, quelque sacs de toile, aidé dans la coulisse par deux régisseurs qui veillent au grain. Pas vraiment de décor sinon un parquet de larges lattes de bois avec quelques marches.
Jean Sclavis, après sa sortie du conservatoire de Lyon, où il s’était spécialisé dans l’emploi de valet de comédie, et où il avait créé le rôle de Scapin dans une production lyonnaise ; suite aux empêchements successifs de plusieurs comédiens, il avait dû aussi jouer leurs personnages, et il eut l’idée d’un spectacle en sol. Enfin, quinze ans d’expérience avec Emilie Valantin (2) l’ont conforté dans la faisabilité d’un spectacle en soliste avec des marionnettes :
« Le personnage de Scapin, dit-il, qui laisse le choix de plusieurs degrés de lecture, est une des sources de l’art de « l’innocence / insolence », associée à la solitude sociale, et à l’autodérision. Nous avons déjà exploré cette attitude, si compatible avec la marionnette, dans J’ai gêné et je gênerai sur des textes de Daniil Harms, et avec le personnage du Zay, inspiré des contes de Nasr-Eddin, dans le répertoire des Castelets ».
Pas de reconstitution, ici les personnages sont habillés façon 17ème siècle, mais c’est en clin d’œil, et avec juste ce qu’il faut d’accessoires. Et quelques moments de musique au clavecin.
Le spectacle, créée en 2008, est parfaitement rodé, et joué avec une grande sensibilité et une incontestable virtuosité ; Jean Sclavis arrive à jouer Scapin et anime au sens strict du terme, les autre personnages. C’est intelligent et brillantissime, et parfois même émouvant, quand le père et le fils se regardent avec une certaine connivence.
« Objets inanimés, avec-vous donc une âme ? » écrivait Baudelaire. Ici, la réponse est oui, huit fois et Sclavis arrivent à rendre vivants deux personnages à la fois. A la fin, quand le comédien installe ses huit comparses à une table de banquet, cela touche alors au sublime.
Oui, mais… la dramaturgie de ces Fourberies de Scapin, revue et corrigée par Sclavis, avec un texte assez coupé, ne tient pas trop la route et c’est dommage. On est obligé de se poser la question : que vient-on voir ? Un acteur brillant et virtuose qui a une intimité évidente avec ses marionnettes, remarquables sculptures créées par Emilie Valantin et François Morinière, dont il est l’âme, et bien costumées par Mathilde Brette, Coline Privat et Laura Kerouredan. Si on reste admiratif devant cette technique fabuleuse qui fait souvent penser à celle des acteurs de bunraku japonais, on reste quand même un peu déçu par cette pièce qui, ici, n’en est pas vraiment une, et un peu ennuyeuse par moments…
– Source : Le Théâtre du Blog.
Notes :
– (1) Extrait du dossier de presse.
– (2) Fondée en 1975 à Montélimar, la Compagnie Emilie Valantin, fut d’abord appelée « Petit Théâtre du Fust » puis « Théâtre du Fust ».
De 1994 à 1999, quatre passages au Festival IN d’Avignon – dont Un Cid, avec des marionnettes en glace – lui valent l’élargissement de la diffusion nationale et internationale. Grâce à l’alternance de petites formes populaires comme les Castelets en Jardins et de spectacles pour grands plateaux comme Philémon et Baucis de Haydn pour l’Opéra de Lyon, la Compagnie Emilie Valantin peut répondre à des demandes de programmation précaires comme aux scènes les plus prestigieuses, telle que celle de
la Comédie-Française en 2008 pour Vie du grand Dom Quichotte et du gros Sancho Pança. En 35 ans, la compagnie a créé plus de 1800 personnages en croisant techniques traditionnelles et matériaux nouveaux, sans dérober au figuratif.
Crédit photos : Frédéric Jean.