C’était en août à Vegas, et au vu de ce qui m’étais arrivé, je m’étais dit : sitôt rentré, je raconte ! Mais on est en avril et je n’ai pas écrit une ligne ! Peut-être qu’au fond, je voulais garder ça pour moi ! Allez savoir ! Mais aujourd’hui, je reçois une photo de Silvan qui tient sa parole et me rappelle une soirée de bonheur total. Alors, c’est décidé, je me mets au boulot. Donc j’étais descendu au Boardwalk, parce que l’Impérial Palace, ne veut plus me recevoir vingt jours de suite même en payant plein pot : car je ne joue pas assez ! Non, ce qui les intéresse, les hôtels, à Vegas, c’est le couple sans enfants qui peut dépenser une moyenne de 4000 $ dans le week-end.
Donc une fois posé au Boardwalk, en plein Strip afin d’organiser le planning des shows que je comptais voir ou revoir, je vois sur un programme que Copperfield venait au Hollywood Theater du MGM Grand – Vous auriez fait pareil – je me suis dit « je vais aller assister à la première ». Levé dès 8 heures (ce qui chez moi est plus qu’inhabituel…) j’ai fait la queue en espérant avoir une bonne place, mais tout était déjà pré vendu ! J’aurais sans doute pu avoir un bon fauteuil, gratuit de surcroît, en faisant intervenir certaines relations, mais c’est pas mon genre : j’ai donc acheté un ticket qui a fait de moi un homme totalement libre ! Et puis, je ne savais plus très bien où j’en étais de mes relations avec Copperfield. Il m’avait reçu royalement, il y a moult années en Allemagne, mais avec une arrière pensée : celle de filmer ma routine de boulettes, car à cette époque, il voulait inclure ce tour dans son show. Gary Ouellet, m’avait demandé la chose gentiment – un peu comme on demande du feu – « hein, ça t’embêterait pas, coco, si on filmait intégralement ta routine de boulettes pour que David puisse la faire après ? » et en ouvrant un rideau qui dévoilait deux caméras prêtes à jouir, il avait ajouté « tout est prêt, on commence à tourner quand tu veux ».

Je me suis donc enquis du montant des royalties que je pouvais espérer (Ouellet étant avocat), et là, je dois l’avouer, la consternation fut générale, on m’avait fêté, choyé, offert des places gratuites, des boissons, une loge de face, David lui-même, m’avait remis devant tout son staff un programme luxueux sur lequel il avait calligraphié avec soin « Pour Jean, avec respect et admiration » et voilà que j’en venais à parler de misérables questions d’argent : Quelle ingratitude ! Moi-même, je ne savais plus très bien où me mettre, mais d’un autre côté, je ne voyais pas pourquoi, je ferais cadeau de 30 ans d’expérience à un type qui vend chaque soir 2000 fauteuils à 100 $ pièce ! Bref, je me sentais de plus en plus mal dans ma peau, alors j’ai dit « voilà, je vais faire les boulettes à votre père, toute la routine, mais une fois seulement, prenez ce que vous pourrez au passage et je ne vois pas ce que je viens faire là, vu qu’une excellente description de cette routine figure en bonne place dans le livre de Slydini ! De plus, je vous interdit de me filmer » et j’ai tenu parole, j’ai fait la routine à son père, le plus vite possible et sans marquer les temps, puis David a quitté la pièce et je ne l’ai plus revu. C’est à cet instant que mon badge a cessé de marcher dans les tourniquets du théâtre et les portes-sas des coulisses. J’ai néanmoins emmené dîner Ouellet et une partie de la troupe pour leur montrer ce que c’est que d’« être classe » et depuis, comme je n’avais jamais revu David, je ne savais donc pas en quelles dispositions il était envers moi (et pour être parfaitement honnête, c’est pas un de mes soucis majeurs le matin quand je me lève !) C’est tout ça que je voulais dire quand j’écris plus haut « Je ne savais pas ou j’en étais de mes relations avec Copperfield ». Si je raconte cette anecdote, c’est parce que l’histoire a fait le tour des milieux magiques en étant à chaque fois déformée et amplifiée. Il ne s’est rien passé d’autre que ce que je viens de dire, RIEN.
J’en étais là de mes réflexions quand je me bute contre quelqu’un sur le Strip et immédiatement, je me dis : mais je le connais ce type, je l’ai déjà vu quelque part et effectivement : c’était Sébastien Clergue qui croisait dans les environs. Brève rencontre : il m’annonce qu’il attend un ticket de la part de Chris Kenner, on se dit que peut-être on se reverra le soir, et comme à Vegas, chacun est « extrêmement occupé », nous reprenons nos chemins respectifs. Le soir venu, je gagne ma place : je suis au fond et sur le côté, je vois mal, mais. Miracle : un monsieur vient me voir et me demande : « Vous ne seriez pas Jean Merlin ? », ben si ! « Je suis un magicien français. je suis là avec ma femme et mes enfants mais il reste une place dans notre booth : vous serez nettement mieux placé : c’est avec plaisir qu’on va se serrer ! ». Comment refuser une telle offre ? Encore une fois, monsieur, merci beaucoup ! Je me meus donc pour gagner un emplacement de choix et re-surprise, j’aperçois au premier rang – excusez du peu – Channing Pollock lui-même et madame, Silvan, Shimada plus un magicien portugais. Je ne vous raconte pas le show, je le ferai peut-être un jour, ici ou ailleurs, mais ce n’est pas mon propos aujourd’hui.
Donc le show démarre, et David lors d’une expérience, descend dans la salle pour choisir des compères au hasard, et tout d’un coup, passe devant moi, s’arrête net, médusé, coupe son micro et à voix basse me murmure : « Restez dans le théâtre après le show ». Donc je reste et je retrouve Clergue, Silvan, Shimada, Pollock que je connais tous bien et qui me demandent de mes nouvelles. David vient nous chercher, il y a deux limousines avec chauffeurs à casquette qui attendent, et nous embarquons pour aller visiter son musée. Les vitres des limousines sont occultées : on ne peut pas voir où on va. Ca monte, on le sent et puis tout d’un coup on s’arrête sur une sorte de plateau. On descend, la vue est incongrue : c’est protégé comme un camp de prisonniers ou une centrale nucléaire avec des grilles hautes, vraisemblablement électrifiées, des lumières qui tournent. Il manque juste des miradors dans les coins. Et ça et là, des maîtres chiens promènent de belles bêtes qui ne feraient qu’une bouchée des petits tigrons de Siegfried & Roy…


Au milieu du terrain une grande bâtisse de la taille et de la hauteur des Galeries Lafayette à Paris. Tout est éteint sauf une petite boutique située au milieu du rez-de-chaussée qui elle est éclairée. Vous n’allez pas le croire, c’est une boutique de frivolités : on y trouve des sous-tifs, des strings, des porte jarretelles soit sur des présentoirs, soit sur des mannequins. En plein désert de Mojave, à deux heures du mat, ça réveille !
Bon, David nous laisse là deux minutes attendant sans doute des commentaires salaces qui ne viendront pas, car tout le monde est bien élevé, mais par contre chacun se demande : Quelle est cette embrouille ? On ne peut même plus ressortir à cause des chiens, on est là, sans femmes dans un magasin de dessous (moyennement) chics. Je dis moyennement parce que nous, en France, on a Simone Perelle , Princesse Tamtam, Playtex, Etam (qui est le retournement de « mate ! » et ma bonne dame, sans vouloir faire nos malins, c’est quand même la classe d’au dessus ! Et les Dim up, hein, les Dim up, on devrait ériger une statue au mec qui a inventé les Dim up ! C’est quand-même pas des amerloques puritains qui vont nous donner des cours d’érotisme ! Non mais des fois !!! Et puis David dit : « Bon maintenant, il va falloir essayer » – Pardon ? – Oui, Jean, rentre donc dans la cabine avec Silvan et il nous pousse dedans. Dès qu’on est entré la lourde porte se ferme et on ne peut plus ressortir. On est confiné dans deux mètres carrés à la fois emmerdés et surpris, puis on pouffe de rire comme tous ceux qui ne savent pas quoi faire : On est avec un mannequin en stuc vêtu d’un string. – Aldo, on ne va quand même pas essayer le string ! – Non, surtout que c’est pas ta taille !

Chris Kenner dans la boutique de sous vêtements avant que les visiteurs ne pénètrent dans l’immense hangar où sont regroupées les plus grandes illusions de David Copperfield.

A ce moment, le sein gauche du mannequin s’allume et Silvan, en grand pro appuie d’un index sûr, sur le téton : On voit qu’il maîtrise le geste… Et c’est ce qu’il fallait faire car une paroi se lève et nous pouvons entrer dans un entrepôt gigantesque : c’est magique. Puis on attend les autres visiteurs qui deux par deux vont subir le même rituel. Après coup, c’est rigolo ! Chacun la trouve « bien bonne ». La première chose que l’on découvre, c’est le coffre fort utilisé dans l’implosion du bâtiment ; Il est tordu, certes, mais presque intact. D’autres pans de décor issus d’autres shows TV jalonnent ça et là le parcours : ainsi les piques de Fires of passion. Pour le reste chaque show TV est emballé avec tous ses accessoires et tous ses costumes dans du papier bulle et sur des sortes de palettes de bois. Tout est rangé dans l’ordre : les shows eux-même, les « spéciaux », les pubbes, je crois même qu’il y a une cassette vidéo scotchée sur l’ensemble comme témoin, en cas d’oubli d’un détail ou d’une manœuvre ! Dans cet entrepôt « Dantesque » qui ressemble plus a celui de J.M Bruneau ou d’Office dépôt qu’à un temple de la magie se trouve aussi une collection de « con games » ou « jeux de fête foraine ». Même en anglais, le mot dit bien ce qu’il veut dire : ce sont tous ces jeux animés par des forains et dans lesquels on ne peut jamais gagner car tous comportent un trucage. Nous ne les verrons pas marcher car ils sont emballés dans du papier bulle avec la photo de l’appareil tel qu’il se présente, scotché dessus. A mon avis, cette collection seule mériterait une vidéo de deux heures avec démonstration de chaque jeu et de son trucage. Je pense qu’une telle chose intéresserait grandement tous les magiciens, mais David ne semble pas décidé : c’est pas un truc qui servirait sa gloire, et les revenus que ça générerait, il ne doit pas en avoir besoin ; Alors c’est garé là en attente d’un miracle…


Jeux de fête foraine.
David tente d’expliquer et de donner des détails, mais il en a tellement fait, que parfois, il se brouille un peu ! Il commettra une ou deux erreurs qui seront aussitôt rectifiées par Sébastien Clergue, qui connaît les versets de son Copperfield résolument par cœur et en tout cas mieux que Copperfield lui-même. Celui-ci finira d’ailleurs par se taire de peur de dire une nouvelle connerie, complimentant quand même Clergue en lui disant « vous êtes un vrai fan, euh, ça c’était bien le show numéro 13 ». – oui, oui ! Vous avez bon ! (sacré Sébastien).
On arrive ensuite dans une sorte de salle de réunion ultra design ; c’est là que sans aucun doute on conçoit les shows avec les consultants. Puis Kenner nous emmène dans la « salle de presse » c’est grand comme le séjour double d’une HLM de Sarcelles et rempli de cartons à dessins en plastique de format raisin ou supérieur et qui contiennent TOUT (read it again) – TOUT – ce qui est paru sur Copperfield depuis l’origine. Y’a du chinois, du malais, des langues qu’on sait même pas qu’elles existent… Ca a presque un côté obsessionnel. A un moment, agacé, je vois collé l’un à côté de l’autre deux articles rigoureusement identiques et provenant du même journal de la même date. Vous me connaissez, j’aime bien comprendre alors j’interroge. – Pourquoi deux ?, demande-je. David dit « Je ne sais pas » et donne un coup de menton rageur vers Kenner pour lui renvoyer la question. L’autre, affolé, se précipite vers un computer en serrant les dents, subodorant que s’il ne revient pas avec une réponse crédible, il risque d’être jeté aux chiens… Heureusement pour lui, tout est en ordre : – Il y a dans ce journal deux éditions : une le matin et une à 18 heures. Donc nous avons un sample de chaque. Tout est bien qui finit bien. David se retourne vers moi et triomphe : « That’s why Jean ! » j’ai eu ma réponse et Kenner ne sera pas fouetté après le départ des invités. Sentant son désarroi, je décide de ne plus lui poser de questions. Je n’ai pas l’honneur de connaître Chris Kenner, mais j’ai, comme vous, acheté le magnifique livre qu’il avait fait paraître et je l’avais classé dans la rubrique « jeunes pleins d’avenir » et puis, je le retrouve là, déguisé en James Bond, « au service de sa Majesté » ce qui pose le problème suivant : Est-il mieux d’exister un tout petit peu tout seul ou de vivre dans l’ombre d’un géant ? Kenner a sa réponse, j’ai la mienne.

Copperfield présentant la collection Dante (Harry Jansen) avec son fameux Inexhaustible Beer Barrel et les accessoires du cabinet spirit.


Pour passer d’une pièce à l’autre, il y a un digicode de chaque côté de la porte et il faut donc être deux pour ouvrir et une fois que les deux bons codes ont été tapés, David appuie sur une télécommande, genre TV et la porte s’ouvre. (Sorry, il faut donc être trois pour ouvrir une porte) Quelque part, qu’on m’excuse, mais ça rappelle Fleury Mérogis… N’ayant pas pris mon appareil photo ne sachant pas que je serais invité, je demande alors à Silvan s’il veut bien m’envoyer les photos qu’il va faire, et il me dit oui. Parce que, en théorie on fait ce qu’on veut, mais en pratique, c’est comme chez Disney : il y a des « points photos » dans lesquels on s’arrête et où on vous dit « Regardez ! De là vous pouvez prendre une jolie photo ». Par contre si l’on veut prendre le détail d’une charnière d’un appareil astucieux, « c’est mieux si vous ne le faites pas ! » mais bon, je peux comprendre, chacun est maître chez lui.
Puis David dit « Et si on prenait un petit café » (et là, je vois Pollock se marrer). A cette heure avancée de la nuit personne n’a vraiment envie d’un petit café, mais depuis longtemps on a compris qu’on ne contrarie pas le beau David. Il y a une cuisine noire et métal d’où il ressort à mes yeux que David n’aime pas cuisiner et que peut-être même il n’aime pas manger (ce fait me sera confirmé plus tard dans la soirée par Pollock qui me raconte alors une histoire surréaliste : celle de David qui se fait descendre en limousine jusque chez Mac Donald, se gare devant et demande au chauffeur d’aller chercher un double merde-burger avec une grande frite et un diet-coke médium !) – You’re kidding, Channing ? – Pas le moins du monde, je me suis même trouvé dans la limo avec d’autres personnes, et pour déjeuner, il nous a fait apporter des burgers qu’on a dû manger dans la limousine en essayant de pas mettre de miettes et c’est pas pratique du tout, continue Pollock… Vous auriez pu au moins descendre manger sur une table ! Non, parce qu’il a peur qu’on le reconnaisse et qu’on vienne lui casser les pieds. – Ca je veux bien le croire ! Mais il pourrait au moins se faire livrer et bouffer dans sa cuisine ou dans la salle de réunion ? Non parce qu’il ne veut pas qu’on sache où il vit, enchaîne Channing… qui comme moi ne comprend pas tout car il est aussi passionné de cuisine ! C’est lui qui me dira où on trouve la fameuse sauce horseradish crémeuse qui accompagne le prime rib servi dans les grands hôtels de Vegas.

Collection Harry Houdini. Structure de l’Iron Maiden Challenge, The great Milk, camisole de force, affiches et les menottes utilisées par l’escapologiste pour le Daily Mirror challenge en 1904 (Photo Homer Liwag).


Mais bon, pour l’instant David entre seul dans la cuisine et quelques instants plus tard, m’appelle : Ce soir là, je suis préposé à essuyer les plâtres ! J’entre donc et dès que je suis entré, la porte se referme, et je suis seul dans la cuisine, Dave s’est comme volatilisé. Comme il y a une machine à café, bien en évidence, je me dis : je vais appuyer sur le bouton ON et les quatre murs vont se lever, une pluie de confettis va me tomber sur la gueule, tandis qu’un orchestre de 80 musiciens va attaquer l’ouverture du « God shave the gouines », qui sera chanté en duo par Franck Sinatra et Pavarotti pour accompagner l’arrivée de Silvain Mirouf lui-même qui déguisé en capitaine de bateau lavoir va me dire, « vous pouvez tourner la roue qui fera de vous un billionnaire ! Et de toute façon vous avez déjà gagné une montre en bois avec un ressort du même métal ! ». Mais peut-être que je m’égare ? Et bien non ! Nibbe ! Rien de tout ça et comme je ne peux plus ressortir, j’entreprends l’exploration méthodique des boutons de placards, des boutons de portes, mais nada ! Finalement je pense au bouton de dégivrage du frigo, j’en ouvre la porte et c’était la bonne idée : de l’intérieur du frigidaire démarre un escalier en colimaçon. Faut se plier un peu pour entrer dans le frigo quand on est gros, mais bon… Entre-temps, Pollock qui en est à sa 15ème visite (et en a un peu marre, il me semble…) est resté dehors et s’assure que les gens entrent bien un par un dans la cuisine ; Il doit recevoir un signal quelconque de David pour le faire et je pense que chaque magicien est chronométré pour voir le temps qu’il met à trouver la façon de sortir par le frigo, et Chris Kenner, l’âme damnée doit tenir des statistiques – sur ordinateur ! Non, je déconne ! Quoi que….

Collection Jean-Eugène Robert-Houdin (horlogerie et automates). Le pâtissier du Palais royal, Le Garde-française (Le chasseur et la colonne au gant), L’arlequin, Les pendules mystérieuses, L’oranger fantastique, The brass chinese conjurer, La leçon de chant.




Bref, c’est là que tout commence. Nous allons visiter deux étages de musée qui sont sans doute ce que j’ai vu de plus beau dans toute ma vie de magicien. Silvan, abasourdi, va même à un moment murmurer entre ses dents « è Natale ! » c’est Noël ! La femme de Kenner va participer à une grande illusion, que je ne vous raconte pas pour ne pas vous gâcher le plaisir si vous êtes reçu. On va découvrir cinq pendules Robert-Houdin en état de marche et une « leçon de chant » in working order too ! Outre des tableaux représentant les grands magiciens, il y a là un « gramophone » à rouleaux, (je n’ose pas écrire roulophone !) car avant les disques, le son était enregistré sur des rouleaux de cire. Ce doit être le premier et le seul enregistrement de Howard Thurston. Se côtoient sur des étagères divers matériels ayant appartenu aux plus grands… Plus bien-sûr une collection d’affiches, de programmes que nous n’aurons pas assez de temps pour consulter et toute la correspondance de Thurston, Malini, Houdini et j’en passe : le tout relié comme des bouquins. David saisit l’occasion de nous montrer qu’à l’époque les magiciens se détestaient déjà : Thurston parle de ce « nabot de Malini », Houdini partage avec Jarrett le sentiment que l’intelligence de Thurston se situe juste en dessous de celle d’une vachette de rodéo… Bref, rien n’a changé !

Affiches et accessoires des plus grands maîtres magiciens de l’Age d’or présentés dans une spéctaculaire scénographie.
C’est à ce moment qu’on a livré trois filles du Crazy venues visiter le musée aussi. Toutes sont originaires de l’est, (il n’y a plus une seule française au Crazy !) Comme l’une d’entre elles parlait italien , Silvan qui n’a pas sa langue dans sa poche s’en est rapproché pour lui dire tout le bien qu’il pensait de son T-shirt ajouré, et Pollock blasé mais perfide me murmura : il devrait peut-être aussi lui appuyer sur le sein comme dans la cabine pour voir si ça fait lever quelque chose ! On était morts de rire, Silvan a voulu qu’on lui traduise, et je ne sais plus qui a dit que la position si spéciale des doigts de Silvan que l’on trouve sur ses affiches (les médius et les annulaires à demi repliés) avait été inventée pour séduire les femmes et que le mouvement était imparable ; Alors on a tous appris le geste des doigts sous la direction du maître ! Ce qu’il y avait d’agréable c’est que c’était une assemblée de gens qui tous n’avaient plus rien à prouver et qui pour un soir avaient décidé de laisser tomber le masque ! Pour moi, ces moments là sont des moments de grâce. A un moment Silvan, honnête, a même dit à Pollock : « Sans vous je n’aurais jamais fait les tourterelles, » et Pollock de répondre : « Oh vous savez si on remonte à l’origine, l’effet n’est même pas de moi ! » On était sur une autre planète.

Collection Howard Thurston et Harry Kellar.

Collection Chung Ling Soo (William Ellsworth Robinson).

Enchanting Rose Wonder de Karl Germain.

La boule volante de Okito (Tobias « Théo » Leendert Bamberg).

La scie circulaire de la femme coupée en deux exécutée par Richiardi Jr.
On est remonté d’un étage, et si le paradis existe, ça doit ressembler à quelque chose comme ça. Il y avait la cage et le chapeau-canne de Pollock sur une petite estrade : et sur ma demande, il m’a fait marcher l’ensemble : Etre là, devant ce matériel historique qui a tourné dans Nuits d’Europe et qui a fait rêver, fantasmer et saliver deux générations de magiciens, pouvoir le toucher, avec à côté, celui qui s’en servait et qui explique comment ça marche et pourquoi ça marche, j’ai eu pendant trois minutes l’impression d’être Dieu. Puis j’ai pu toucher au matériel de Cardini sous la direction de David qui m’a montré les deux monocles (car dans le numéro, on a l’impression qu’il n’y a qu’un seul monocle et en fait il y en a deux… et le second a une fonction bien précise ! Mais chut !) Avisant une collection de poupées de ventriloque, je dis à David, – celui-là ressemble à s’y méprendre à Charlie McCarthy d’Edgar Bergen. -You know why ? it’s because it is Charlie McCarthy. Alors, moi qui avais tellement rêvé devant la photo qui trône dans le Hall of fame du Palladium de Londres, je lui ai fait une petite caresse, en souvenir (pas à David, à Charlie).

La poupée marionnette Charlie McCarthy du célèbre ventriloque et acteur américain Edgar Bergen.

Suit une époustouflante collection de boîtes de magie. – Auriez-vous celle avec laquelle j’ai commencé ? – How old are you ? 60 ! Come with me ! Et à la section « 1940/1950 », je trouverai LA boîte avec laquelle j’ai commencé. Ici, Chaque objet est une pièce de musée et je me dis : si les frères Voignier étaient là, ils feraient une crise cardiaque !

Collection « boîtes de magie ». Mysto Magic Set N°25. New Haven Gilbert (ca. 1940).
Puis nous sommes redescendus par un autre escalier. En franchissant la dernière porte David nous aurait annoncé qu’on allait prendre place à bord d’un sous marin nucléaire conduit par le petit fils du capitaine Némo afin de gagner l’Atlantide, qu’on l’aurait cru… Plus personne ne savait où il habitait ! On était « spellbound » comme aurait dit Dai Vernon dans Stars of Magic !
Mais on s’est retrouvé dans un endroit spécial où David a fait léviter chacun de nous, un par un ; même moi. Je suis face contre terre, on l’a fait exprès afin que mon ventre tombe, pour montrer qu’il n’y a pas planche qui me supporte ! Je ne porte pas non plus de harnais et je vous laisse le soin de découvrir le truc ! Puis David dédicace les photos, il s’en va tout d’un coup sans qu’on n’ait pu lui dire vraiment merci, et Chris nous ramène jusqu’aux limousines. Il est cinq heures, on est un peu fatigués, mais pas vraiment, on rentre à l’hôtel en se disant que peut-être bien que dans notre vie, jamais plus on ne connaîtra un truc comme ça. Il reste une impression d’admiration mêlée de respect devant la réussite du personnage. On est même prêt à l’aimer, puis on se demande s’il le souhaite vraiment. Il a gravi step by step, la difficile montagne du succès, et il trône là, en son sommet, assis sur un tas d’or, MAIS SEUL, terriblement seul, peut-être devrais-je écrire RESOLUMENT seul ! Seul comme Bach, seul comme Monk, seul dans sa tête comme Picasso, seul comme Goshman dans les fins de congrès, seul comme tous ceux qui sont montés si haut que personne n’a pu les suivre. Seul comme ceux dont plus personne ne peut comprendre ce qu’ils disent quand ils parlent et qui bientôt vont prendre la décision de se taire. Car je crois intimement, qu’après toute une vie de peinture, de musique, de théâtre, d’enseignement, de conférences, aux abords du dernier voyage, celui qui sait avoir dit ce qu’il avait à dire, s’enferme parfois définitivement dans le silence. Peut-être le silence est-il la dernière des musiques de l’homme ? Au faîte d’une carrière bien remplie, Chriss Hinze, le « Stefan Grappelli de la flûte traversière » venu à Paris pour donner un unique cours, avait réuni sur son nom et sans aucune pubbe, le ban et l’arrière ban des flûtistes européens de gros calibre : ceux qui enseignent dans les conservatoires, appartiennent à des orchestres prestigieux. Des gens qui tous avaient parfois pris l’avion de loin pour venir recueillir la parole du maître. Après les avoir soigneusement écouté, il leur a dit : « vous savez, pour la flûte, le mieux, c’est encore de souffler.» puis, il a remis son bonnet, et il est reparti… A première vue l’histoire à l’air d’une plaisanterie, au deuxième abord, on comprend que parvenu au sommet, l’Artiste avec un grand A devient parfaitement adiabatique.

Copperfield dans son énorme réserve où sont conservés les accessoires de magie par thématiques et époques.
Idem pour David. Dans sa catégorie, il est en haut, il a bon partout, and what next ? Nothing, buddy, nothing ! Alors il reste bien sûr la notion du partage. Le maître convoque des gens pour lesquels il a une petite estime, mais qui se sont arrêtés en chemin faute de détermination, d’imagination ou de courage, et pour eux il soulève un coin du voile et leur dit « voilà jusqu’où on peut aller ». D’aucun vont alors penser que le maître cherche à satisfaire une dernière fois son ego – take it from me – C’est même pas sûr ! Du haut de sa montagne, le Maître s’emmerde. Alors il se dit, « je vais en prendre quatre et je vais essayer de leur donner envie » – ça me fera toujours de la compagnie pour un soir ! Et c’est ça que David a essayé de faire pour nous ce soir là. Qu’il en soit remercié. Mille fois. Mais des remerciements sincères peuvent-ils encore lui faire plaisir, le toucher ? De tout cœur, je le lui souhaite, pour le bonheur qu’il m’a donné.

David Copperfield dans la boutique de magie de son enfance reconstituée avec minutie à l’identique, objet par objet !
Toutes proportions gardées, tout cela m’a rappelé une représentation du Cid de Corneille que j’ai eu le bonheur de voir avec à la fois Gérard Philippe, Jean Villard, Maria Casarès (qui à 153 ans passés jouait encore Chimène sans être ridicule), et dans le rôle des hallebardiers de troisième zone : Philippe Noiret et Jean Pierre Darras. J’ai compris des années plus tard que jamais, plus jamais, je ne pourrais aller voir jouer le Cid. C’est un peu la même chose qui m’est arrivé cette nuit là, parce que même si les évènements font qu’un jour je sois réinvité à visiter le musée, Silvan et Pollock seront-ils encore à mes côtés ce jour là ? Pas sûr ! Tiens, vous voulez que je vous dise un truc ? J’aurais vraiment aimé que vous soyez là, je suis sûr que VOUS auriez adoré !
Note de la rédaction :
David Copperfield a créé son International Museum and Library of the Conjuring en 1991 avec l’acquisition de la Mulholland library of Conjuring and the Allied Arts (contenant 80 000 pièces dont 15 000 ouvrages et la plus grandes collection consacrée à Houdini) et des collections Cole / Dr Robert J. Albo. Ce musée privé se veut la mémoire de l’art magique et a pour but de restaurer et conserver le patrimoine de l’illusionnisme pour les générations présentes et futures. Installé dans un entrepôt en plein milieu du désert de Las Vegas, le musée est uniquement ouvert à ses confrères magiciens, universitaires, historiens, acteurs et à certains médias. Copperfield garde l’espace fermé au grand public pour que les secrets de la magie restent en lieu sûr dans ce coffre-fort (au allure de base militaire) et parce qu’il préfère exposer ses objets en plein jour pour une expérience plus interactive, sans vitrines ni cordes limitant l’accès du public. Il prête certains objets pour des expositions temporaires ou les amène en tournée. À ce jour, sa collection, évaluée à des centaines de millions de dollars, est considérée comme la plus grande au monde avec ses 150 000 pièces.
Crédit photos : David Copperfield Museum Collection. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.