Un spectacle de et avec Hervé Blutsch, avec la connivence de Jean Lambert-wild.
Blutsch a une parenté avec nombre d’écrivains américains: il a pas mal bourlingué et fait beaucoup de choses dans sa vie. Né à Paris en 1968, il a grandi en Autriche, a enseigné le français en Indonésie, a commencé à écrire pour le théâtre, il y a une vingtaine d’années et on a pu voir ses pièces comme Le Canard bleu ou Marie-Clotilde jouées à Paris, et en même temps, publiées. Il s’est aussi lancé dans l’import-export de profilés cintrés…(sic) Puis a ouvert des salons de coiffure en Italie et un centre de soins capillaires bio à Bâle. (Sic, sic). Mais la crise financière ayant eu raison de ses ambitions, il se consacre depuis 2009 à son théâtre. Et c’est sans doute bien ainsi, si on en juge par cet Emprunt Edelweiss où il se met lui-même en scène pour la première fois.
Rien d’autre sur le plateau qu’une grande table bricolée, avec quelques lampadaires autour, table qui fait office de studio d’une station-radio, dont il est à la fois le seul animateur et l’ingénieur du son, passant d’un invité à l’autre, d’un auditeur au téléphone à l’autre ; qui ne sont en fait que lui-même avec une voix bidouillée. Son conducteur sous les yeux, il manipule les boutons de commande. Le vert puis le rouge s’allume, il n’arrête pas de jongler avec son micro dans une gestuelle délirante. C’est bien entendu complètement foutraque et en dehors de toute réalité mais c’est aussi intelligent que finement observé.
La voix est sotte à merveille et passe du feuilleton :
« Cette semaine, votre feuilleton vous est offert par la fédération des producteurs de fruits et légumes bios de Basse-Normandie ; manger sain, manger bio et puis manger de saison ! »
Hervé Blutsch : « Et je vous rappelle quant à moi que le feuilleton est interprété par les jeunes de l’atelier théâtre du lycée Jean Rostand à Caen. À tout à l’heure, Patrice. »
Hervé Blutsch jouant Patrice Plio : « À toute à l’heure ! »
Hervé Blutsch lance le feuilleton. (Tout est enregistré, sauf les monstres et les effets spéciaux qu’Hervé Blutsch déclenche en jouant sur son clavier en suivant une conduite – il peut en profiter pour boire, se détendre, etc.).
Puis il lance une émission historique due à un certain Léon Godet : Mémoire de France avec pour fond musical, une Suite pour violoncelle seul de Bach, un tic-tac d’horloge, et le bruit de la mer, et pour conclure, une sirène de cargo au loin. Suit Theme for Ernie de McCoy Tyner et une pub.
Hervé Blutsch jouant Léon Godet : « Il faut dire que le Général était plus grand que moi… » Insert off radio : Mémoire de France. Hervé Blutsch jouant Léon Godet : « Et le protocole voulait qu’il n’ait pas à se baisser… »
Insert off radio. Léon Godet : L’homme qui parlait dans l’oreille du Général de Gaulle. Hervé Blutsch jouant Léon Godet « … donc, j’avais un petit marchepied, je me mettais à côté de lui, je montais sur mon marchepied, je m’approchais de son oreille et je lui disais : mon Général, pchi pchi pchi, mon Général pcha pcha pcha, pchipchoupchou pchipchoupcha. Je sais plus exactement ce que je lui disais, mais enfin, quand même, je lui disais des choses importantes »
Blutsch connaît visiblement bien les milieux de la radio et avoue entendre des émissions à longueur de journée. Quand il imite celles où l’on répond aux auditeurs ou quand il parodie France-Culture, c’est d’une rare insolence et provoque des rires en cascade dans le public. Longue moustache et cheveux ébouriffés – le tout postiche – Hervé Blutsch est plus vrai que nature et a mis au point un solo au comique exemplaire où, grâce à un savant dosage de faux premier degré et de second degré, avec un mélange de voix tout à fait étonnant, contrebalancé de temps en temps par des airs de jazz, de Chostakowitch ou de Bach, le cocktail qu’il joue en direct et par enregistrements interposés, emporte l’adhésion du public dès les premières minutes.
Hervé Blutsch, espèce de clown poétique hors normes, réussit à tenir 90 minutes, ce qui n’est pas à la portée de tous les auteurs/comédiens qui se lancent dans ce genre de monologue sans filet… Mais comment ne pas être séduit par ce solo/performance aussi brillant que rigoureux – il y a, derrière, un solide travail d’écriture et de montage mais dénué de prétention.
Des bémols ? Oui sans doute, les quinze dernières minutes n’ont pas vraiment le même souffle – cas d’école classique – et pourraient sans dommage passer à la trappe ou être concentrées. Et, comme le propos se perd alors un peu et qu’il y a une certaine saturation de la voix amplifiée, que la scène est sous éclairée, on a tendance à moins bien écouter. Et la mise en scène de la fin est mal ficelée…
Bref, le travail, on l’aura compris, était encore un peu brut de décoffrage le soir de la première et le spectacle a besoin d’être rôdé. S’il passe près de chez vous, ne faites surtout pas l’impasse dessus.
Le comique n’est pas très présent dans le théâtre français contemporain plus enclin aux crises de désespoir sur fond d’alcoolisme, alors c’est une bonne occasion à saisir…
– Source : Le Théâtre du Blog.
A voir :
– L’Emprunt Edelweiss, une fantaisie française en tournée dans le cadre des Scènes nomades : le 17 avril 2013 à Cormelles le Royal, le 18 avril 2013 à Trouville, le 19 avril 2013 à Mathieu.
Crédit photos : Tristan Jeanne-Valès. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.