Conception et performance : Annabel Guérédrat. Scénographie : Henri Tauliaut. Regard artistique : Christophe Haleb. Son : Marvin Fabien (création), Franck Martin (diffusion). Lumières : Suzanne Péchenart, Torriep.
Le Festival Everybody est une manifestation imaginée par le Carreau du Temple à Paris, où le corps est mis en jeu dans tous ses états, face aux normes et préjugés sociaux. Pour Sandrina Martins, sa directrice générale, « Une réflexion profonde anime vivement notre société à cet endroit et suscite toujours autant de controverses, notamment au sujet du féminisme, des nouveaux modèles de masculinités, du racisme, de l’âgisme, du validisme, de la grosso-phobie. » Pendant six jours des artistes ont mis le corps, dans toute sa diversité, au cœur de leurs pratiques.

A l’aune du féminisme, la sorcière se voit aujourd’hui réhabilitée comme figure positive. Et nombre de femmes s’en réclament, comme cette artiste martiniquaise. Aux Antilles, les brujas sont des sorcières mêlant les rituels de la religion yoruba (Bénin,Togo et Nigéria) qui ont inspiré le vaudou et ceux de la Caraïbe, venus d’un panthéon féminin afro-diasporique.
A côté de ces déités locales, Annabel Guérédrat convoque aussi des figures modernes. Nue et perchée sur de hauts talons, elle entonne, résolue, un air de Nina Hagen aux sonorités heurtées… Suivront une krumpeuse ou encore une mystérieuse figure au masque noir. Dans un jeu d’ombres et de lumières, rythmé par des tubes fluos mobiles, la performeuse, habillée de sa seule peau, soumet en cinq tableaux, son corps à des transformations permanentes avec costumes, coiffures ou masques. Elle finit en apothéose, dans un cercle magique de bougies rouges, où elle s’asperge d’huile et de paillettes : les écailles de la déesse des eaux salées, Yemaya, la Mamman Dlo, mère de tous les dieux dans la mythologie antillaise. Ce solo intime ne nous place jamais en position de voyeurs. La danseuse, à l’aise et très naturelle, fait en sorte d’inclure le spectateur dans son rituel. Elle se sent tellement libre dans sa nudité qu’elle n’en éprouve aucune gène, le public non plus.


Ces sorcières de tous les temps et dont elle revêt les attributs, lui ont été inspirées par Brujas, une chanson de la rappeuse américaine féministe Princess Nokia et, entre autres, par les écrits d’Audre Lorde. Dans Sister Outsider, la poétesse américaine exhorte les femmes noires et métisses à honorer les déesses qui sommeillent en chacune d’elles. Annabel Guérédrat devient cette bruja envoûtante à qui elle consacre ses recherches depuis quelques années. A la tête de la compagnie martiniquaise Artincidence, elle a créé plus d’une trentaine de chorégraphies avec, pour thème, l’écologie décoloniale, les afro-féminismes dont, en 2010, son remarqué Freak show for S. autour de la Vénus noire Sarah Baartman.
– Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog.
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