Pour mettre en scène la chanson Cash In Cash Out de Pharrell Williams (et de ses deux acolytes Tyler, the Creator et 21 Savage), le réalisateur François Rousselet est allé puiser aux sources du pré-cinéma en agençant un jouet optique géant sous forme de zootrope1. Les trois chanteurs ont leurs avatars en marionnettes de pâte à modeler et sont animés images par images2 (caméra fixe et rotation du zootrope).

Ce prodigieux jouet optique est un hommage au clip fondateur Around the World (1997) de Michel Gondry où le mouvement circulaire de la musique des Daft Punk fait écho à l’installation-diorama : un dancefloor en forme de vinyle bricolé où les morts dansent avec les vivants.
Un s’agit d’un vrai tour de passe-passe que se livre le réalisateur, jouant avec les angles de prise de vue et les échelles. La caméra pénètre ainsi dans cette installation circulaire comme un mini drone et découpe le clip en séquences suivant de multi-strates dans un jeu d’apparitions et de disparitions, comme ce moment où 21 Savage disparait dans une malle d’illusionniste pour en ressortir dans une autre, dans un mouvement perpétuel.


Cash In Cash Out va encore plus loin dans le vertige hypnotique avec ses multiples niveaux de lecture séquentielle, comparables aux différentes couches (de billets) d’une pièce montée. Une énorme pâtisserie, bourrée de sucre, qui tourne sur elle-même répétant à la chaîne les mêmes flows et les mêmes saynètes. Des images mises en scène jouant sur le principe de relativité qui met à nu un système monstrueux en circuit fermé comme un train fantôme. Car nous ne sommes pas loin de la fête foraine et de sa furieuse ambiance entre excitation, monstration, vitesse, monstruosité et sensations fortes. La machinerie ne cesse de se transformer au fil du clip et le zootrope devient alors carrousel, puis praxinoscope à plusieurs niveaux et facettes (comme un palais des glaces).
L’argent coule à flow
Cette boucle visuelle et musicale addictive provoque de stupéfiants enchainements et la chanson est à l’image de l’installation, décrivant le succès et l’échec du Hip-hop ; mettant en scène les dollars qui « entrent » et qui « sortent » (l’encaissement et le débit), le « bling-bling » (montre en diamants, bagues, pendentifs en or, tatouages outranciers…), les grosses voitures cylindrées, les motos, les femmes en shorty et soutien-gorge, les insultes poétiques, les marques de luxe, les placements de produits… On retrouve également des références populaires au cartoon avec Mickey (ses gants), Hulk (la métamorphose de 21 Savage) ou La Famille Addams (la main coupée de La Chose). Une imagerie du paraître qui court inexorablement à sa perte jusqu’à l’extinction des feux de la rampe.


Secrets de fabrication
Ce clip démontre de façon éclatante une réussite collective et une symbiose parfaite entre le fond (la musique) et la forme (l’installation plastique). Forme qui est conjointement une idée originale de la société d’effets visuels Electric Theatre Collective (ETC), de la société de production Division et du réalisateur François Rousselet.
Mais ici tout est faux et le zootrope géant n’existe pas. La vidéo a entièrement été créée à l’aide de trucages numériques (VFX) et d’images générées par ordinateur (CGI). Pour y parvenir, ETC a dû travailler de manière presque contre-intuitive, en ajoutant des imperfections dans le rendu. Des empreintes digitales ont été rajoutées sur les modèles et leurs vêtements (ressemblant à de la pâte à modeler) pour simuler la sensation d’être manipulés, et des éraflures ont été introduites dans les prises de vue. Bien évidemment, certains « éléments de constructions » sont clairement visibles comme les tiges et les ficelles qui servent à tenir en suspension certains éléments du décor et que normalement on « gomme » en post-production pour rendre l’effet final « magique ».


Pour donner l’impression d’un zootrope ou d’un carrousel en mouvement, ETC a recréé une « latence organique » dans le mouvement des personnages pour provoquer des imperfections de mouvements légèrement saccadées. Car, une chose qu’on remarque dans l’animation d’un zootrope est la sensation de stop-motion, de douze images par seconde et le fait que ce n’est pas parfait à 100%. Le réalisateur a aussi volontairement accentué le côté jouet en plastique des figures, accessoires (balle, dé à jouer, cerceau…) et véhicules (moto, train, bicyclette, voiture) comme le résultat d’une machine à imprimer en 3D. Ainsi, les voitures ressemblent à des miniatures Hot Wheels… François Rousselet voulait avant toute chose provoquer le doute dans l’esprit du public et le forcer à se demander si un vrai zootrope avait été construit. Cela signifiait également ajouter de minuscules particules de poussière au film et donner l’impression que tout avait été tourné avec des caméras miniatures. Quand le numérique réinterprète des procédés optiques et mécaniques vieux de deux siècles avec une telle maestria, il y a de quoi se réjouir pour le futur digital qui grignote petit à petit tous les domaines artistiques.
Notes :
1 Le zootrope est un jouet optique fondé sur la persistance rétinienne et inventé en 1834 par les mathématiciens William George Horner et Simon Stampfer.
2 En 2001, le Musée Ghibli à Mitaka (Japon) a créé un zootrope géant en 3D mettant en scène les personnages du dessin animé Totoro (studios Ghibli, 1988). En 2005, la société Pixar leur a emboité le pas en fabriquant leur propre « carrousel zootropiques » à partir des personnages de leur long-métrage Toy Story
A voir :
– Cash In Cash Out de Pharrell Williams. Direction artistique de François Rousselet (juin 2022).
– Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°238 (novembre-décembre 2022).
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