Denis Darzacq (né en 1961) vit et travaille à Paris. Diplômé de l’Ecole National des Arts Décoratifs en 1986, section vidéo, Darzacq débute la photographie en suivant la scène rock française et devient également photographe de plateau sur de nombreux longs métrages (Satyajit Ray, Jacques Rivette, Chantal Ackerman, etc.). A partir de 1989, il collabore régulièrement avec le quotidien Libération et plus globalement avec la presse nationale. Il devient membre de l’agence VU en 1997.
Depuis le milieu des années 1990, Denis Darzacq développe un travail personnel. De la photographie de presse qui fut, comme pour d’autres photographes français de sa génération, le berceau de sa pratique artistique, il conserve avant tout un regard aiguisé sur la société contemporaine et une méthode. L’artiste sait, en effet, prendre le temps d’un long travail de terrain au contact direct de son sujet. Mais il a rompu avec le reportage et sa valeur de témoignage pour adopter une démarche plus analytique donnant lieu à des séries formellement très cohérentes. Si les gros plans de la série Only Heaven (1994-2001) révèlent encore l’implication personnelle de son auteur, les vues plongeante d’Ensembles (1997-2000) et frontales de Bobigny centre ville (2004) puis des Casques de Thouars (2007-2008) traduisent, en effet, une mise à distance du sujet, voire un artiste en position de retrait.
Surtout, Denis Darzacq a acquis la conviction qu’une image construite pouvait paradoxalement servir son analyse de la société avec plus d’efficacité. Aussi recourt-il, depuis 2003, à des mises en scène qui reposent toutes sur le principe de la disruption. Par leur état ou leur pose, les corps mis en scène bouleversent l’ordre établi, mais sans jamais faire basculer l’image dans le spectaculaire. Des hommes et des femmes marchent nus dans des zones pavillonnaires (Nus, 2003), d’autres semblent figés en apesanteur dans l’espace urbain (La Chute, 2006), ou entre des rayons de supermarchés (Hyper, 2007-2011) ; des personnes en situation de handicap reprennent avec force possession de l’espace public, (Act, 2009-2011). Le montage numérique que l’artiste n’avait jusqu’alors jamais utilisé, lui a permis, dans la série Recomposition I (2009) de pousser plus à fond cette logique perturbatrice.
Le corps apparaît comme le dominateur commun des recherches de Denis Darzacq. L’artiste le conçoit comme une sculpture. Mais une sculpture sociale car le corps ne peut être extrait du contexte avec lequel il interagit. L’artiste en fait l’outil d’une critique des difficultés et des stigmatisations auxquelles se heurtent certains groupes, tout particulièrement les jeunes des quartiers défavorisés ou des zones reléguées des populations en marge. Le photographe pointe les contraintes et les contradictions sociales. Mais il invite aussi, par la rupture de gestes dépourvus de sens, à affirmer une identité toujours plus complexe que celle qui nous est assignée et à reconquérir une forme de liberté là où elle semble avoir disparu.
La chute (2006)
La série La chute ; met en scène les corps en apesanteur de danseurs de Hip Hop de Capoeira et de danse contemporaine. Une « chute de l’ange » des années 2000, toute en tension et en énergie, entre ciel et terre.
« Juste après la crise des banlieues de 2005, entre pesanteur et gravité, j’ai réalisé des photographies en suspension dans une architecture générique et populaire. J’aime qu’à l’ère de Photoshop, la photographie puisse encore surprendre et témoigner d’instants ayant
réellement existé, sans trucages, ni manipulations. » Denis Darzacq.
Dans des cités d’un Paris populaire et urbain, il créée des images baroques de corps en apesanteur, en lévitation. Propulsion. Perte de gravité. Energie. Poussée. Bascule des perspectives. Et une question : que fait-on de cette énergie ? Que fait-on de ces corps qui veulent entrer dans le jeu; et qui risquent de s’écraser au sol si on les ignore, si on les laisse tomber.
En 2003, en pleine guerre du Golfe, l’artiste s’est rendu en Algérie pour faire un reportage sur des danseurs algériens, dont il a tiré une pléthore de photos et de vidéos. Séduit par ces visions de jeunes en suspension dans l’espace, le photographe décide par la suite de se rendre dans les cités et de demander à des danseurs et des sportifs de sauter devant des fonds choisis.
Hyper (2007-2010)
Hyper prolonge La Chute tout en recentrant de manière explicite le propos de l’artiste sur le consumérisme qui était en filigrane de plusieurs séries antérieures. Si l’artiste soulignait dans Casques de Thouars le pouvoir fédérateur de l’objet de consommation mais aussi ses limites, la critique est ici plus acerbe.
Hyper oppose des corps en mouvement à l’espace saturé et normatif des magasins de grande distribution. Dans cet univers marchand, le saut a pleinement valeur d’acte gratuit et non conditionné. Il est un affront aux stratégies marketing qui entendent régir nos comportements. Certaines figures, nimbées d’une forme d’aura, imposent même leur gloire et diffusent une spiritualité volontairement en rupture dans ces temples de la consommation.
A voir :
– Le site de Denis Darzacq.
Crédit Photos : Denis Darzacq. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.