Cette trente-troisième édition – la première sous la houlette de Stéphanie Bulteau – porte encore la marque de Marc Fouilland qui vient de quitter la direction du CIRCa, après dix-huit ans de bons et loyaux services. L’année de tous les dangers, pour cette nouvelle directrice, venue du Séchoir de Saint-Leu (Ile de la Réunion). Une Scène conventionnée pour les arts du cirque et de la rue avec un temps fort : le Leu Tempo festival.
À l’arrivée, l’incertitude planait encore sur la tenue du festival : « Nous avons eu le feu vert de la Préfecture seulement le 11 septembre ! Restait cinq semaines au lieu de trois mois pour tout organiser et surtout rendre le festival Covid compatible.» Ce qui signifiait : achat de masques et gel hydro-alcoolique pour tout le monde, services de sécurité et salariés supplémentaires. Et une jauge réduite de 40%. Donc perte de billetterie (120 000 euros) : un surcoût de 50 000 euros ! Au mieux, le fonds d’urgence pour les festivals du Ministère de la Culture devrait compenser le déficit à hauteur de 15 000 euros. La directrice se dit optimiste. Les soixante-dix représentations des vingt-sept spectacles affichent complet : le public est là comme la plupart des programmateurs français mais pas les étrangers (une centaine en général). L’essentiel du programme a pu être sauvé : une seule compagnie étrangère a dû annuler.

Stéphanie Bulteau photographiée par Ian Grandjean.
Grandes absentes : les écoles : « D’habitude on compte ici cent-cinquante jeunes circassiens européens et deux-cent français. Cette année nous aurons seulement les spectacles du Pop Circus, des Ecoles régionales et de la deuxième année du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne », regrette Stéphanie Bulteau. Elle considère ces rencontres comme l’âme du Festival du Cirque actuel d’Auch. Rappelons qu’à l’origine de CIRCa, il y a un atelier-cirque, fondé en 1975 par l’abbé de Lavenère-Lussan à des fins éducatives. Devenu le Pop Circus, l’aventure a fédéré le cirque amateur, dans l’esprit de l’Education populaire de l’époque. Pour devenir ces dernières années un rassemblement international des jeunes circassiens où l’on pouvait voir les travaux de plus de 550 amateurs sous l’égide de la Fédération Française des Ecoles de Cirque (douze fédérations régionales et cent trente-six écoles).

Viva ! C’est sous ce signe – prémonitoire – que nous avions placé ce festival. Peut-être le seul de la saison. Jusqu’ici tout va bien, dit la directrice. Mais les artistes sont inquiets. Je les sens fragiles mais très volontaires. Ils ont tellement envie de jouer ! Mais les corps ne sont pas prêts. Ils n’ont pas pu s’entraîner pendant le confinement. (On ne peut pas répéter par Zoom !) Et il y a plus d’accidents que d’habitude. »
Stéphanie Bulteau tient bon la barre et espère développer son projet dès la saison prochaine. Comme son prédécesseur, elle souhaite privilégier la diversité des formes du cirque contemporain que ce soit sous chapiteau, en salle et dans les espaces publics. Elle entend réaffirmer la place du cirque dans une ville qui s’enorgueillit de cette identité culturelle. Pour ce faire, une équipe artistique sera associée à chaque saison, pour imaginer de nouvelles ouvertures.
Autre regret de Stéphanie Bulteau : la défection des bénévoles dont seulement cent quarante ont répondu présent cette année. Gérée bénévolement jusqu’en 1999, la structure compte aujourd’hui seize permanents mais ne pourrait fonctionner sans les quelque deux cent cinquante volontaires qui assistent les équipes artistiques, accueillent le public aux entrées des spectacles, conduisent les navettes entre les dix-sept salles et chapiteaux disséminés en ville et assurent les transferts vers les gares et l’aéroport. De tout âge et de toute origine, ils ont des motivations différentes.

Photo : Ian Grandjean.
« On est toute une bande de retraités. Il y a une culture du bénévolat dans le Gers ». Au festival de Marciac par exemple, dit Jean qui s’occupe du bar et vit à Auch depuis trois ans : « Le nouveau cirque, je ne connaissais pas. Je suis très étonné par le changement artistique. » Il est là « pour discuter avec les artistes. Ils ont une mentalité ouverte à travers leur voyage et leur travail » Et aussi parce que « ça permet de se faire un réseau ».
Marie-Hélène vient de La Rochelle tous les ans pour véhiculer les artistes depuis l’aéroport. Georges, retraité comme elle, est lui aussi adepte des longs voyages en voiture : « C’est le plus intéressant et donne le temps de communiquer avec les gens et de mesurer l’importance du festival pour Auch. C’est un événement mondial ! On voit des Japonais, des Coréens, Sauf cette année !
Gilla est espagnole : ses parents, circassiens, sont venus en résidence et jouer à Auch. Elle veut se former à la production dans le domaine du cirque et fait partie de la brigade qui s’occupe des compagnies. « On veille à leur logement, à leur nourriture, chaque personne a quatre compagnies en charge », dit Sounayna. Gersoise, tout juste diplômée en naturopathie, domaine où elle n’a pas encore trouvé d’emploi, elle consacre à CIRCa les heures où elle ne travaille pas au magasin Biocoop d’Auch. « Depuis quelques années, beaucoup de jeunes bénévoles sont ici pour rencontrer les gens du milieu, c’est aussi le meilleur endroit pour voir le cirque actuel », dit Manu, ingénieur informaticien dans l’aérospatial à Toulouse. Il y avait fait l’Ecole de cirque du Lido et a joué à Auch. Il y revient comme volontaire depuis plusieurs années « pour ne pas rester enfermé dans un milieu pro. C’est un lieu d’équilibrage ». Anita, affectée à la cantine, pratique le jonglage, seule en amateure et aimerait bien se faire une place dans le milieu…
Les spectacles
Avec quelque soixante-dix représentations de vingt-sept spectacles, malgré un contexte particulier et l’absence de nombreuses écoles et d’animations qui attirent les familles, le public est au rendez-vous et toutes les séances affichent complet. Il fait toujours bon retrouver l’ambiance du cirque : « C’est plus ouvert que le théâtre, dit l’une des jeunes bénévoles. On est plus dans le partage. »
Mais on sent les artistes nerveux dans les disciplines de haute précision. Le confinement ne leur a pas permis de s’entraîner pendant plusieurs mois et avec l’annulation des événements de d’été, ils n’ont pas joué depuis longtemps. Auch est donc le premier grand festival de cirque de la saison et les spectacles que nous avons pu voir, expriment en filigrane une certaine inquiétude chez eux.
Ghost Light / Entre la chute et l’envol de Nico Lagarde et Ugo Dario.
« Lampe-fantôme », nom anglais de la « servante » : une ampoule électrique qui, sur un haut pied, semble veiller sur le plateau, la nuit. Dans cette maigre clarté, au centre de la scène circulaire, une longue bascule comme animée d’une vie propre, oscille avec lenteur dans un léger gémissement. Les duettistes québécois, élégants, vont se glisser dans la pénombre et évoluer sur cet agrès pendant une heure, accompagnés par la musique crépusculaire du compositeur Félix Boisvert. Deux porte-manteaux sur roulettes, dits « valets de chambre» vont et viennent sur le plateau, pour livrer leurs costumes.

La bascule devient un terrain de jeu pour des sauts aussi périlleux que prodigieux. Dans un ballet d’ombre et de lumière, les artistes s’envoient alternativement à plus de sept mètres de haut, rebondissent et atterrissent souvent dangereusement. Ils maîtrisent l’art de la chute feinte et les roulés-boulés au sol. La lumière monte, la tension aussi, sur une musique métronomique implacable. Ils s’amusent à nous (se) faire peur ou s’adonnent à des exercices plus ludiques, en traitant leur bascule comme un tourniquet d’enfant…
La chorégraphie des corps dans le clair-obscur s’organise dans un espace circulaire entre verticalité et horizontalité. Une belle géométrie variable pour un scénario intense où, dans de poétiques contrejours, se tisse une relation intime entre ces artistes. Quand Ugo quitte le plateau, en proie à une certaine lassitude, Nico reste là, désemparé, seul avec le fantôme lumineux ou la veste vide de son partenaire. Seul, sur cette bascule, il ne peut plus jouer. Pour Nico Lagarde et Ugo Dario, artistes virtuoses et inventifs, le cirque n’est pas une aventure solitaire et même les accessoires sont de la partie.
Low Cost Paradise. Création collective du Cirque Pardi !, mise en scène de Garniouze.
Un brin nostalgique, ce paradis de pacotille dans une atmosphère de cabaret déjanté. « Paradise lost », annoncent des lettres en tubes fluo… Il faut se faire une raison et, entraîné par la musique d’Antoine Bocquet, danser sur les décombres de notre vieille société.

Cette compagnie basée à Toulouse, a vu le jour en 2011 sous l’impulsion de l’équilibriste Maël Tortel qui est aussi constructeur et machiniste. Depuis, elle balade un peu partout son chapiteau et ses artistes qui maîtrisent tous plusieurs instruments, chantent et jouent la comédie mais peuvent aussi faire des numéros de haute qualité, comme en témoigne ce dernier spectacle, créé l’an passé.
(V)ivre. Création collective de Circa Tsuïca, mise en scène de Christian Lucas, création musicale de Guillaume Dutrieux et Rémi Sciuto.
Cette fanfare-cirque du Cheptel Aleïkoum est un collectif né en 2004 de la quinzième promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne et basé à Saint-Agil (Lot-et-Cher). D’autres artistes, musiciens, compositeurs, scénographes et graphistes l’ont rejoint mais chacun fait ses propres créations, tout en restant lié à la compagnie.
Thème central de cette dernière pièce : comment vivre ensemble ? Le public devait être convié à partager ce questionnement mais les circonstances en ont décidé autrement… Pour chauffer la salle, les spectateurs, depuis les gradins, sont invités à reprendre, en chœur, quelques gestes et notes de musique… « Le public est une partie constituante de notre écriture, car le partage avec l’autre est un désir qui nous réunit », disent les artistes et le chapiteau reste le moyen d’être dans la rue, tout en créant un espace chaleureux unique.

Photo : Ian Grandjean.
Douze circassiens/musiciens évoluent sur des vélos d’acrobatie, tout en jouant de leur instrument. Ils tournent en rond ou traversent la piste qui devient alors une rue où se croisent des personnages. Un SDF, un dragueur, quelques coquettes… passent à pied ou virevoltent à bicyclette. Des amoureux s’embrassent, des hommes se bagarrent tout en faisant nombre d’acrobaties. Un meneur de jeu fait claquer son fouet pour remettre la troupe au pas. Mais les artistes ont tôt fait de reprendre leur liberté, à l’instar de l’oiseau-chanteur qui les accompagne et se perche sur les têtes, en sifflotant …
Si le vélo reste l’agrès principal de (V)ivre, il y a aussi quelques jolis numéros de corde et trapèzes volants. Franck Bodin, Guillaume Dutrieux, Olivier Pasquet, Lola Renard, Thomas Reudet, Charlotte Rigaut, Rémi Sciuto, Matthias Penaud, Maxime Mestre, Cécile Berthomier et Anja Eberhart nous communiquent leur joie de vivre dans une ivresse musicale bon enfant.
Chimaera. Conception et mise en scène de Julia Christ et Jani Nuutinen.
Dans un coin perdu de campagne, une cabane en bois. Un homme aux allures de bûcheron est aux prises avec une créature qui vit sous les lattes du plancher et apparaît sous divers aspects. Feu follet, sorcière et autre goule, ces fantasmagories se déploient dans la chaumière… Peu à peu, une figure féminine se dessine et vient folâtrer avec l’homme des bois qui, après avoir tenté de l’éliminer par la magie, l’alchimie ou à coups de hache, se laisse séduire par ces chimères…


Jani Nuutinen, l’un des fondateurs du Circo Aereo, première compagnie de cirque contemporain en Finlande. Avec, depuis 2001, plus près de trente créations dans son pays et en France. Svelte et rompue à la danse et à l’acrobatie, Julia Christ qui cosigne la pièce, développe un langage corporel fluide, en contraste avec le physique patibulaire de son partenaire. L’artiste berlinoise est depuis deux ans associée au Sirque – Pôle National Cirque de Nexon (Haute-Vienne). Cet étrange duo mêle acrobatie, manipulation d’objets, théâtre d’ombres et tisse une fable fantastique, proche de l’univers des contes nordiques.
Perceptions de Maureen Brown, Benjamin Lissardy et Maryka Hassi, par la compagnie Bivouac.
Le trio artistique de cette compagnie fondée il y a deux ans, a conçu, pour ce nouveau spectacle, un agrès gigantesque, inspiré de la recherche spatiale et des vols paraboliques. L’Oculaire, dessiné par la scénographe Maureen Brown, est un cadre carré où est incrustée une roue qui tourne sur elle-même ou pivote sur un axe perpendiculaire aux montants. Chaque partie de cette architecture complexe est mise en mouvement par un moteur qui peut aussi se désactiver. Les formules mathématiques inscrites à la craie blanche sur le cadre de L’Oculaire évoquent une savante géométrie de l’espace, domptée par ces acrobates-danseurs.


Photo : Loup-William Théberge.
Dans les contre-jours qui s’allument à la nuit tombante et sur la musique de Yanier Hechavarria, perché à jardin, évoluent Silvana Sanchirico Barros, Vanessa Petit, Grégoire Fourestier, Antoine Linsale et, parmi eux, Benjamin Lissardy qui a participé à la conception en testant toutes les possibilités du prototype de cet agrès. La mise en scène très chorégraphiée de Maryka Hassi, auteure du scénario avec la scénographe, privilégie le mouvement perpétuel, le passage entre le stable et l’instable.
Les interprètes sont à la fois jouets de l’espace et pilotes de l’impressionnant dispositif. La machine bouscule leurs repères et les force à chercher des appuis. Quand le moteur se désamorce, les corps guident alors les métamorphoses de l’espace. Harnachés, ils volent dans les airs puis se posent… Ils se laissent glisser dans la roue ou encore utilisent sa barre médiane comme un mât chinois ou un fil de funambule, verticalement ou en diagonale. L’esthétique géométrique, affirmée de Perceptions où la courbe s’inscrit dans l’horizontalité et la verticalité, met en valeur ces acrobaties. Beau et impressionnant.
Três. Conception et interprétation d’Antonin Bailles, Leonardo Ferreira et Joana Nicioli.
Le groupe Zède, issu de la vingt-neuvième promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne, propose une variation sur le nombre trois, comme le titre l’annonce. Ce trio disparate tente de se rassembler autour d’un mât central. D’abord seul, chacun occupe l’espace et développe ses propres figures le long du poteau, prenant de la hauteur et glissant vers le sol. Mais bientôt les mouvements de l’un vont déborder sur l’autre, avant de perturber les acrobaties du troisième…

Pourquoi ne pas s’y mettre à deux ? Mais alors, que devient le troisième ? Solos, duos, trios se succèdent dans un scénario complexe et la bande-son de Robert Benz rythme une alternance de gestes lents et rapides, une succession de jeux d’équilibre, d’acrobaties au mât mais aussi à terre.Dans le titre Très, on entend aussi tresse : un entrelacement serré que les artistes vont faire et défaire, autour de leur agrès, outil d’appui et d’expression, point de convergences et divergences dans leurs cheminements individuels. Au croisement de la danse et de l’acrobatie, inspiré par le jeu des relations humaines, entre accords et désaccords, le groupe Zède nous propose ici un subtil pas-de-trois.
Article de Mireille Davidovici . Source : Théâtre du Blog.
Crédits photos : Ian Grandjean, Loup-William Théberge, Tomás Amorim et Emmanuel Burriel. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.