Bernard Voïta (né en 1960) est un plasticien suisse s’exprimant au moyen de la sculpture, de l’installation et surtout de la photographie, préoccupé par le statut illusoire de l’image comme représentation de l’espace.
Parcours
Bernard Voïta accomplit ses études secondaires à Lausanne et, en 1981, entre à l’Ecole supérieure d’art visuel (ESAV) de Genève. Pendant les deux dernières années de ses études en 1985 et 1986, il se concentre sur des travaux photographiques. En 1988, il présente ses premières expositions personnelles à la Galerie M/2 à Vevey et à la Shedhalle à Zurich. Sa production suscite immédiatement un vif intérêt, tant dans le milieu artistique que dans celui plus spécifique de la photographie. Depuis 1989, Bernard Voïta vit et travaille à Bruxelles.
L’installation photographique
Dès ses premiers travaux, Voïta explore, à l’aide d’installations intégrant des objets et des photographies, la question de l’espace dans ses relations avec l’image, selon un chiasme où se trouvent simultanément interrogés l’image de l’espace et l’espace de l’image. Les motifs choisis (objets et matériaux en tout genre) fournissent l’occasion d’élaborer une forme qui est le lieu d’une tension permanente entre perception en perspective, construction mathématique et présence ontologique.
Antichambre (1987).
Tout se passe comme si la même forme avait plusieurs images, lesquelles coexistent objectivement dans la représentation alors qu’elles sont pourtant inappréhensibles simultanément : chacune des dimensions en jeu – l’illusion perspectiviste, l’à-plat géométrique, l’être-là des choses en leur configuration – renvoie contradictoirement à l’autre, suivant le mouvement d’une boucle sans fin dans laquelle chacune est et n’est pas la réduction analytique de l’autre, où chacune construit et déconstruit les autres selon un jeu de formes qui est aussi un jeu de forces, une dialectique de l’ordre et du désordre où se fait jour la tension jamais apaisée qui travaille toute image sous son apparente immobilité.
Sans titre (1988).
Mirages d’espace
La mæstria formelle avec laquelle Voïta compose ses espaces paradoxaux suscite une admiration et un étonnement renouvelés ; mais l’œuvre appelle le regard à se porter au-delà de ce côté spectaculaire. La vérité de ces mirages d’espace, de leur rhétorique fascinante, est aussi qu’il est impossible et interdit d’y pénétrer, comme en témoigne leur encombrement. Pour que l’espace devienne pénétrable, pour que l’œuvre ouvre à la place de refermer, il faut que l’espace soit (aussi) un lieu. C’est ce que la métaphore architecturale se charge d’articuler dans certains de ses travaux, en montrant que le lieu est la dimension invisible de l’espace visible.
Sans titre (1988)
Concept
Dans ses premières séries datant de la fin des années 1980, l’espace voyait sa profondeur neutralisée par la disposition d’objets hétéroclites organisés selon des opportunités formelles et surtout de contraste. Par cette organisation, les distances s’annulent, la profondeur et la perspective disparaissent au profit d’un effet d’à plat qui ramène évidemment à la bi-dimensionnalité effective de l’image photographique.
Sans titre (1988)
Le choix du motif architectural déplace et approfondit le questionnement de l’espace. Les « architectures irréelles » de Voïta font miroiter jusqu’aux détails les plus vrais l’image des villes et des immeubles que nous habitons. Pourtant ceux-ci n’existent pas en dehors de ces images qui sont des simulacres, des imitations qui produisent cela même qu’elles paraissent reproduire.
Fabrication
À première vue, ce travail est celui d’un illusionniste surdoué. Le dispositif de l’enregistrement photographique d’une réalité placée devant l’objectif autorise de nombreuses possibilités de manipulation. L’intervention de Voïta a lieu de l’autre côté de la caméra, du côté du référent. La forme se dégage par elle-même de la disposition d’objets en tout genre, dont l’ordre est savamment organisé dans l’atelier.
Sans titre (1990-1991)
Le jeu de la perspective, de l’échelle, du rabattement au plan, les effets de projection, de raccourci, de contraste flou/net, les alignements, les jeux d’ombres propres et portées, l’égalisation des textures par le grain du tirage; de toutes ces surprises optiques de la chambre obscure, Bernard Voïta joue avec une dextérité remarquable.
L’art de Bernard Voïta procède d’une pratique qui s’approche du « bricolage » au sens où son travail ressort, à ce que la critique contemporaine a désigné, sous le label d’images fabriquées. Cette expression qui est apparue au début des années 1980 recouvre toute une production d’œuvres qui ne s’intéressent plus, ni au seul enregistrement du réel, ni à la simple rhétorique du cadrage, mais qui procèdent de la constitution d’une image inédite, émergée de la mise en jeu de constituants hétérogènes.
Sans titre (1995)
Composées tout d’abord d’objets empruntés au quotidien le plus banal puis de vues d’architectures, les images de Voïta sont construites sur un mode tantôt éclaté selon le principe de la juxtaposition de plans, tantôt diffus du fondu enchaîné. Le regard qui s’y porte est troublé par l’impossibilité dans laquelle il se trouve à se repérer et cette impression est d’autant plus forte que plus il cherche à comprendre l’articulation spatiale de l’image, plus il s’égare. Le regard perd pied, tout se dérobe à sa vue et le fossé qui l’écartèle entre voir et reconnaître est définitivement creusé.
Avec du temps et la patience d’un parfait maquettiste, Voïta peut tout faire passer à l’image pour son contraire, du bois pour du métal, du loin pour du proche, du grand pour du petit, du plein pour du vide, du volume pour du plan, etc. Il est un précurseur en la matière.
Paysage Ahah (2009)
Au final, il n’y a pas de manipulation numérique de l’image ; la photographie est analogique, le tirage est traditionnel et argentique. Pas de montage, pas de collage d’images. L’épreuve est directement issue de la prise de vue. Ce qui est ici manipulé, ce n’est pas l’image, c’est le réel dans sa configuration apparente. Bernard Voïta arrange les choses pour les besoins de l’image. Il ajuste, déplace, dispose, obstrue, révèle, éclaire, oriente, etc. Et l’image s’élabore, se monte précautionneusement, partie après partie, dans l’œil du viseur.
Melencolia IV, Le jardin d’Omar (2013)
« Le jardin d’Omar est comme un terrain de jeu et doit tout à la camera obscura, qui était d’abord l’instrument des peintres et qui est au cœur du dispositif photographique. Historiquement, le jardin définit un espace clos, délimité par une enceinte à l’intérieur de laquelle tout est réglé comme l’agencement de mes photographies. Je travaille depuis longtemps de façon assez particulière, en commençant par définir la place de mon appareil dans l’atelier. Puis j’organise les objets à partir de son point de vue, de telle sorte que tout l’espace se cristallise à la surface de la photographie finale. » B. Voïta.
Conclusion
Bernard Voïta construit ses espaces comme des théâtres d’objets qui prennent sens une fois associés les uns aux autres. Des rebus, des objets insolites sont bricolés pour retrouver une nouvelle identité, une signification autre que celle de leur origine.
La réalité photographique des images de Voïta procède des concepts de leurre et de simulacre et il s’agit bien pour l’artiste de faire valoir ce qu’il en est de ces apparences sensibles qui se donnent pour une telle réalité. Ce que ces images instituent dans leur tentative d’une mise en ordre – ce qui est le propre de la photographie – n’est autre que le corollaire de la dimension factice qui les fonde.
Au grand jeu des illusions, l’art de Voïta invite finalement le regard non à se perdre mais à se laisser prendre. Il y gagne ainsi non seulement une étendue et une ampleur mais une vue d’autant plus repoussée qu’elle ne connaît aucune limite puisqu’elle est singulièrement une vue de l’esprit.
Crédit Photos : Bernard Voïta. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.